Volume 5, numéro 1, décembre 2015
Version PDF Frédéric Clément
Université de Montréal
La publication de Anime’s Media Mix: Franchising Toys and Characters in Japan (2012) chez University of Media Press s’inscrit dans leur tradition d’offrir des ouvrages académiques consacrés à l’anime et à la culture populaire japonaise, comme la revue annuelle Mechademia (2006-aujourd’hui), la monographie The Anime Machine: A Media Theory of Animation de Thomas Lamarre (2009) et des ouvrages traduits du japonais comme Otaku: Japan’s Database Animals de Hiroki Azuma (2009) et Beautiful Fighting Girl de Saito Tamaki (2011). Dans Anime’s Media Mix, Marc Steinberg explore les liens tissés par les médias, les personnages et les jouets au Japon depuis les années 1960. Pour ce faire, il choisit comme exemple principal les mouvements transmédiatiques du personnage Atomu (connu sous le nom d’Astro le petit robot en français), le protagoniste du manga Tetsuwan Atomu et de son adaptation animée qui fut diffusée pour la première fois en 1963. Dans ce que Steinberg qualifie de « coïncidence historique majeure », 1963 est aussi l’année où l’expression media mix est apparue dans le jargon du marketing au Japon (p. 138).
Dès le départ, l’auteur avise le lecteur des différences entre le media mix et d’autres concepts comme le transmédia, la synergie, et la convergence médiatique (p. vii). Comme le précise Steinberg, le media mix est une forme de convergence médiatique, mais telle que rencontrée en contexte japonais (p. viii). Cela dit, le livre cible particulièrement l’anime media mix : un type de convergence qui s’articule autour de l’animation japonaise, mais qui inclut aussi les mangas, les jeux vidéo, les romans, les jouets, les séries télévisées, et la musique. L’auteur mentionne que même si la convergence est habituellement une notion employée à propos des médias numériques, les racines de l’anime media mix, elles, sont analogues (p. viii). En effet, ces racines proviennent des liens formés dans les années 1960 entre un manga, un dessin animé, un fabricant de friandises… et des autocollants!
La notion de convergence a gagné en popularité en Occident grâce au travail de Henry Jenkins, tel que son ouvrage Convergence Culture (2008). La littérature universitaire sur l’exemple japonais de convergence n’est pas particulièrement rare : Jenkins aborde justement le cas japonais, de même que Mizuko Ito, dans son Collectif Fandom Unbound: Otaku Culture in a Connected World (2012). Par contre, Ito semble davantage intéressée par la culture et les pratiques otaku que par la convergence proprement dite. Ce que Steinberg propose dans son livre n’est pas une opposition aux travaux d’Ito, mais plutôt un complément : bien ancré dans les réflexions économiques et technologiques, le discours de Steinberg adopte une perspective matérialiste tout en mettant l’accent sur les manières dont les produits culturels sont conçus, mis en marché et diffusés.
L’approche de Steinberg s’éloigne de la montée des études sur les fans (fan studies) durant les dernières années (un phénomène auquel Kinephanos a aussi participé dans son précédent numéro, tout comme l’a fait Mechademia en 2010 dans son cinquième volume, Fanthropologies, pour ne nommer que deux exemples), en présentant un point de vue alternatif : celui des architectes de la convergence. Dans cette première étude approfondie sur l’anime media mix, l’auteur concentre un remarquable travail de recherche archivistique sur les années 1960 afin de bien illustrer non seulement l’origine de l’anime media mix, mais aussi de l’anime lui-même. Examinons maintenant les arguments que l’auteur développe dans chaque chapitre de son ouvrage.
Le premier chapitre du livre porte sur le mouvement dans l’animation, avec une attention particulière à la façon dont la limitation du mouvement a donné naissance à l’anime L’auteur expose et différencie deux tendances qui gouvernent la création des dessins animés : l’animation « pleine » (full animation) et l’animation « limitée » (limited animation). Durant les années 1960, la première était utilisée par Disney aux États-Unis et Toei Animation au Japon pour leurs longs métrages d’animation (p. 8), et est caractérisée par la fluidité du mouvement — un effet qui nécessite un nombre élevé d’images dessinées par seconde. L’autre tendance, l’animation limitée, était utilisée dans les dessins animés des studios Hanna-Barbera et UPA et aussi pour la série Atomu (p. 11); c’est une tendance qui se base sur des raccourcis dans le processus d’animation dans le but de réduire de façon drastique le nombre d’images dessinées par seconde. Grâce à ces stratégies, parmi lesquelles on retrouve l’utilisation de panoramiques à même le dessin, des plans courts, une décomposition du mouvement à son minimum et un design dynamique des personnages qui, même dans les moments d’immobilité, semblent empreints de mouvement, les animateurs sont parvenus à réduire le nombre de dessins à seulement 10% de ce que l’animation pleine exigeait (p. 16). De cette façon, les studios d’animation furent en mesure de produire des épisodes télévisés à un rythme hebdomadaire à faible coût, tout en proposant aux téléspectateurs une expérience esthétique où l’immobilité était centrale. Steinberg avance que c’est l’immobilisme de l’image dynamique de l’anime qui la « connecte » aux autres formes médiatiques (p. 6) : les personnages, même immobiles, semblent néanmoins insufflés de mouvement grâce à leur design dynamique. L’auteur soutient cette idée tout au long du livre et en fait même la pierre angulaire sur laquelle repose son propre concept, celui du « dynamically immobile character image », ou « immobilité dynamique » (dynamic immobility). C’est cette habileté à se connecter à d’autres formes médiatiques qui a permis à l’image de l’anime de se répandre à travers les médias, multipliant ainsi les opportunités pour commercialiser les personnages sur plusieurs supports.
Le deuxième chapitre porte sur l’émergence de l’anime et de l’anime media mix dans les années 1960, notamment grâce à la télédiffusion de Tetsuwan Atomu et de la mise en marché de ses personnages. L’auteur souligne que, dans le « phénomène » Atomu, les autocollants ont joué un rôle important afin d’ouvrir la voie à la mise en marché d’une abondance de jouets dérivés. Steinberg décrit qu’en ajoutant des autocollants d’Atomu dans ses boîtes de chocolats, le fabriquant de friandises Meiji Seika, alors le seul commanditaire de la série télévisée, a obtenu un succès retentissant qui a participé à la diffusion de l’image de l’anime d’Atomu. Grâce à sa portabilité, sa capacité d’être collé n’importe où et sa capacité d’être vu en tout temps, le personnage sur l’autocollant est devenu « diffus dans son environnement » (« environmentaly diffuse ») (p. 83), faisant d’Atomu un personnage omniprésent dans la vie quotidienne japonaise. Bien que le boom de popularité des autocollants d’Atomu ait été documenté et commenté au Japon, Steinberg considère que les chercheurs ont sauté trop vite aux conclusions en attribuant l’enthousiasme des enfants pour ces autocollants à une sorte de désir « naturel » d’être entourés de leurs personnages favoris. En disséquant les qualités esthétiques des autocollants, Steinberg soutient plutôt que c’est l’immobilité dynamique de l’image des personnages qui a servi de tremplin aux mouvements transmédiatiques de ces derniers (de la télévision aux autocollants aux jouets) et à leur dissémination dans l’espace physique. Ce serait l’immobilité dynamique, jumelée à la cohérence visuelle des personnages à travers leurs incarnations, qui auraient établis les bases de l’anime media mix et permis à Atomu de se déplacer d’un média à l’autre de façon si efficace.
Après avoir démontré la façon dont les autocollants ont transporté Atomu de l’écran jusque dans l’espace physique des enfants, Steinberg s’attaque aux jouets plus concrets et « ludiques », comme les armes, les automobiles et les robots. Il décrit la façon dont les premiers jouets à l’effigie de personnages préexistants, les « mass media toys », étaient inspirés par des mangas populaires qui permettaient aux enfants de jouer le rôle de leurs héros, que ce soit en maniant une épée de samouraï (Akado Suzunosuke) ou un fusil (Maboroshi Tantei), ou bien en portant un masque (Maboroshi Tantei et Gekko Kamen). Mais avec la popularité sans pareil d’Atomu et la diffusion de l’image du personnage (rendue possible par la campagne d’autocollants), les jouets basés sur les personnages changèrent : ils commencèrent à offrir aux enfants l’opportunité de ne pas seulement jouer aux personnages, mais aussi avec eux. Les jouets sont devenus une représentation tridimensionnelle des personnages eux-mêmes : les enfants pouvaient désormais étreindre leur poupée d’Atomu ou faire voler leur jouet d’Atomu dans les airs. Une fois de plus, l’auteur souligne la capacité de l’image de l’anime à voyager parmi les médias grâce à l’immobilité dynamique de ses personnages : par exemple, les jouets d’Atomu les plus populaires le montrent volant, les bras arqués à angle droit, physiquement immobile, mais néanmoins chargé de mouvement.
Le quatrième chapitre marque le début de la deuxième moitié du livre, où l’auteur examine les stratégies du media mix appliquées à grande échelle. Mettant de côté le fabriquant de friandises Meiji Seika, Steinberg porte son attention aux pratiques d’une véritable entreprise médiatique : Kadokawa Books. Fondée en 1945, Kadokawa Books a vendu de la littérature classique jusque dans les années 1970 (p. 149). À cette époque, la compagnie a commencé à imiter les méthodes occidentales en tablant sur la publication de novellisations de films ainsi que de leurs trames sonores, allant même jusqu’à produire ses propres films. Bien que Kadokawa ne publiait pas de mangas ni ne produisait d’anime à l’époque, la compagnie a néanmoins emprunté quelques stratégies déployées avec succès pour Atomu dans les années 1960 en faisant « voyager » les personnages et les récits d’un média à l’autre. Par contre, plutôt que de se limiter aux enfants, Kadokawa a appliqué cette logique commerciale aux médias grand public afin d’atteindre un plus large auditoire.
Au dernier chapitre, l’auteur aborde la façon dont le media mix, peaufiné par Kadokawa Books dans les années 1970, s’est transformé durant la décennie suivante. Si le consommateur cible du media mix a changé de l’enfant dans les années 1960 au grand public dans les années 1970, c’est vers un marché de niche qu’il s’est orienté dans les années 1980 : l’otaku, ou le fan enthousiaste d’anime, de manga et de jeu vidéo. L’auteur explique comment la consommation de personnages (kyara, contraction provenant de la prononciation japonaise du mot anglais character) a été suivie par la consommation de mondes (sekai) que ces personnages habitent. Dans ce nouveau mode d’interactions entre producteur et consommateur, le consommateur accumule les produits dérivés à l’image des personnages afin d’avoir accès—ou d’habiter—les mondes avec lequel il s’est familiarisé en lisant des mangas, en visionnant des anime et en jouant à des jeux vidéo. À cet égard, Steinberg revisite la théorie de la « consommation de récits » que Eiji Otsuka a mise de l’avant dans les années 1980, où le fan était encouragé à consommer chaque fragment du monde afin de le saisir. Dans le même ordre d’idées, Steinberg identifie le personnage comme élément-clé dans la transition d’un mode de consommation fordiste à un mode post-fordiste (p. 197). Dans ce mode, le personnage fait à la fois office « de produit et de publicité, de production et de consommation » (p. 197; ma traduction), et c’est à travers la consommation de ses personnages que le monde est appréhendé (p. 199). Steinberg fait ainsi écho aux théories du sociologue Maurizio Lazzarato, qui avance que « l’entreprise contemporaine ‘crée non pas l’objet (la marchandise) mais le monde dans lequel l’objet existe’ » (p. 200; ma traduction). Dans sa conclusion, l’auteur avance qu’aucune histoire des cultures de masse et des sous-cultures japonaises d’après-guerre ne peut être fidèle sans « une connaissance du media mix et la relation personnage-monde sur laquelle il repose » (p. 202; ma traduction). Il s’agit justement du chemin que Steinberg a proposé au lecteur durant le livre, en passant du manga à l’anime et de l’autocollant au jouet, en explorant les relations toujours plus foisonnantes entre personnages et mondes.
J’ai entrepris la lecture de ce livre en possédant déjà un certain bagage en études de la culture populaire japonaise, sans pourtant être familier avec le terme « anime media mix ». Pour cette raison, j’étais perplexe face à l’utilisation de l’anime pour désigner ce type de convergence. Est-ce que « anime media mix » est idéal pour décrire ce phénomène? Est-ce que l’anime est vraiment le pilier de l’écosystème de la culture populaire japonaise, qui inclut les anime, les mangas, les jeux vidéo, les dramas télévisuels, les light novels, les CD drama et les chansons (le « light » de light novel vient du fait que les récits de ces ouvrages sont plutôt simples et agrémentés de plusieurs illustrations de types manga ou anime, « allégeant » ainsi leur lecture)? Peut-être que le manga devrait occuper cette position, puisqu’il est la source de davantage de propriétés intellectuelles et de franchises que l’anime. L’auteur fournit même des preuves statistiques qui supportent la prépondérance du manga comme point de départ pour l’anime, affirmant que les deux tiers des séries animées de 2005 étaient des adaptations de mangas (p. 9 #30). Néanmoins, ce qui ressort des réflexions de Steinberg est que, bien que le manga fournisse l’impulsion initiale à plusieurs propriétés intellectuelles qui « voyagent » ensuite parmi les autres formes médiatiques japonaises, il reste que c’est bel et bien l’anime, alimenté par l’immobilité dynamique de l’image du personnage, qui propulse la dispersion des personnages et des mondes à travers les médias. L’explication de Steinberg est-elle assez solide pour justifier la nomination de l’anime comme élément essentiel de cette convergence? Je juge que c’est bien le cas et que l’ouvrage en fait une démonstration convaincante.
Cela dit, je tiens à souligner que des connaissances préalables à propos des anime et des mangas contribueront grandement à la compréhension du lecteur. Puisque l’auteur bondit fréquemment d’une époque à l’autre durant le livre, j’ai dû compter à plusieurs reprises sur ma familiarité avec les objets culturels utilisés comme exemples (Tetsuwan Atomu, Akado Suzunosuke, Haruhi Suzumiya) afin de m’y retrouver dans le discours de Steinberg. Les deux premiers chapitres portent sur les années 1960, après quoi on fait un retour en arrière historique dans le Japon d’avant-guerre, puis à l’époque de l’occupation américaine, pour ensuite revenir dans les années 1960, suivies des années 1970, 1980, et le début du 21ème siècle. Heureusement, l’écriture de l’auteur est généralement assez claire pour bien guider le lecteur à travers ces allers-retours. Pour ce qui est de la deuxième moitié du livre, par contre, une difficulté supplémentaire s’ajoute lorsque l’auteur se penche sur les multiples formes de media mix. Dans les deux derniers chapitres, il nous explique le marketing media mix (à propos de la mise en marché), le Kadokawa media mix (basé sur la triade film-roman-trame sonore durant les années 1970), et le Kadokawa Media Office (rebaptisé plus tard Kadokawa Media Works) media mix (qui a ciblé les otaku dès les années 1980). Malgré la légère confusion que peut entraîner la cohabitation de ces multiples conceptions du media mix, il serait injuste d’en tenir rigueur à l’auteur de nous faire connaître cette évolution—un savoir qui est particulièrement pertinent pour bien comprendre la transition économique du Japon du fordisme au post-fordisme au courant du XXe siècle.
J’aimerais maintenant attirer l’attention sur deux aspects où le livre présente des lacunes. Tout d’abord, bien que l’auteur s’intéresse grandement à la portion télévisuelle de l’anime media mix, très peu est dit sur la façon dont les longs métrages d’animation y prennent part. Cette exclusion me semble d’autant plus étrange lorsqu’on pense à l’importance donnée aux longs métrages en prise de vues réelles dans le développement du media mix par Kadokawa Books dans les années 1970. Atomu et Haruhi Suzumiya ont tous deux fait la transition de l’écran de télévision à celui du cinéma au fil des années (1964 pour Atomu et 2010 pour Haruhi), et une mention sur la façon dont ces films s’insèrent dans le mix aurait été instructive. Cette omission me semble une opportunité manquée.
En deuxième lieu, une autre facette de l’anime media mix aurait bénéficié d’une plus grande attention : les jeux vidéo, qui sont presqu’exclus du livre. Au fil de ma lecture, je me suis souvent demandé de quelle façon le jeu vidéo, en tant qu’objet culturel et technologique fortement présent dans l’anime media mix, pourrait s’insérer dans le portrait global de l’ouvrage. Ma curiosité fut alimentée au fur et à mesure que j’en apprenais sur l’immobilité dynamique, la consommation des personnages et la consommation des mondes. En lisant à propos de ces concepts, je me suis demandé de quelle façon ils pourraient être appliqués aux jeux vidéo. Hélas, le sujet a été mis de côté trop rapidement. Peut-être que ce sujet demanderait son propre livre? Quoi qu’il en soit, il m’a semblé, en tant que chercheur sur le jeu vidéo, que leur importance dans le media mix fut négligée, et je pense qu’une ouverture aux travaux d’autres chercheurs aurait été un complément naturel. Heureusement, ce numéro spécial de Kinephanos sur les geemu et sur le media mix—dont ce compte-rendu fait partie—tente de combler en partie ce manque.
Malgré ces critiques mineures, je tiens à souligner la qualité du travail dans son ensemble. Les efforts déployés par Steinberg se reflètent par le nombre remarquable de ressources japonaises auxquelles il fait référence. De plus, les nombreuses citations guident le lecteur vers des textes importants qui n’ont pas (encore) été traduits du japonais. En tant que découverte de ces textes, Anime’s Media Mix est déjà louable. Le travail d’archives nécessaire à la réalisation de ce livre est stupéfiant—probablement dû au fait que la première incarnation de cet ouvrage était sous la forme de thèse doctorale—et je ne peux qu’applaudir cette abondance de sources japonaises au bénéfice du lecteur.
Bien sûr, le livre a bien plus à offrir. Je suis particulièrement enthousiasmé par le concept d’immobilité dynamique proposé par l’auteur. Steinberg explique la dichotomie entre l’animation pleine et l’animation limitée, pour ensuite aller au-delà de ces notions afin de décrire la popularité de « l’esthétique du mouvement dans l’immobilité » (« movement in stillness aesthetic »). En faisant une sorte d’exploration archéologique de l’image animée au Japon, il mentionne l’importance du manga, bien sûr, mais souligne aussi le rôle crucial du kamishibai, ou le « théâtre de papier », un dispositif ambulant où un artiste fait défiler des illustrations tout en assurant une narration, ce qui a habitué le Japon aux images empreintes de mouvement, bien qu’immobiles. Insufflées par l’immobilité dynamique, les performances de kamishibai ont tracé la voie à l’acceptation de l’animation limitée auprès des enfants. Un autre élément que j’ai apprécié est l’idée d’aborder la franchise Haruhi Suzumiya et les light novels. Comme le dit Steinberg, les light novels sont une source de plus en plus importante de récits pour les mangas et les anime, ce qui consolide les liens entre les médias : il est donc nécessaire de les aborder dans le livre. Bien qu’il soit plus succinct dans sa description de l’impact de Haruhi qu’il ne l’est avec celui d’Atomu, l’inclusion de cette franchise renforce son argumentation avec un exemple récent et pertinent d’une franchise importante du discours des fans des années 2000.
J’approuve aussi sans équivoque la façon dont l’auteur traite l’œuvre d’Osamu Tezuka, souvent appelé le « Dieu du manga » à la fois dans les médias de masse, mais aussi dans le discours académique. Bien que Steinberg revienne souvent à Atomu tout au long du livre, son approche semble alimentée par une curiosité académique plutôt que par la vénération ou l’émerveillement. Il s’assure de rester à une distance critique raisonnable de son objet d’observation. Dans le même ordre d’idées, j’apprécie le fait que Steinberg cite des grandes figures du media mix à travers les décennies, comme Osamu Tezuka, Haruki Kadokawa (le président de Kadokawa Books dans les années 1970), et Eiji Otsuka, critique, chercheur et créateur de manga (et aussi le grand architecte de l’otaku media mix, puisqu’il travaillait au Kadokawa Media Office dans les années 1980). Ces interventions apportent un point de vue « de l’intérieur » qui dynamisent le propos.
Enfin, les explications pertinentes et bien choisies de Steinberg tout au long du livre sont aussi à souligner. La convergence médiatique est un concept large et les auteurs et les lecteurs qui s’y intéressent doivent avoir une certaine familiarité avec plusieurs disciplines. Heureusement pour le lecteur, Steinberg semble être conscient de cette difficulté : l’auteur sait qu’il aborde à la fois le sujet très vaste de la convergence médiatique, mais aussi le sujet très spécifique de la transmédialité dans le contexte particulier de la culture populaire japonaise qui gravite autour de l’anime. Par conséquent, il prend le temps d’expliquer les nombreux termes utilisés par les chercheurs en média et les spécialistes du marketing, en clarifiant leur usage à la fois à l’époque de leur émergence et aujourd’hui. Certains lecteurs pourraient penser que ces explications auraient davantage eu leur place en note de bas de page, mais jamais les définitions retrouvées dans le corps du texte ne semblaient déplacées ou superflues.
Anime’s Media Mix: Franchising Toys and Characters in Japan de Marc Steinberg est un ajout notable aux livres sur les anime disponibles chez l’éditeur University of Minnesota Press. Grâce à un travail d’archives imposant, Steinberg offre un ouvrage nécessaire à propos de la convergence dans la culture de l’anime au Japon, avec, comme point de départ, l’époque où elle a émergé. Puisqu’il existe de plus en plus de recherches sur les façons dont les fans vivent la culture de l’anime, il est rafraichissant d’en apprendre à propos des architectes qui ont jeté les fondations de cette culture.
À mon avis, Anime’s Media Mix est un ouvrage incontournable pour quiconque s’intéresse à l’émergence de l’anime dans les années 1960. Je le recommande aussi fortement aux lecteurs intéressés aux médias japonais ou aux anime en général, mais aussi à une approche académique des jouets. Cela dit, je pense que les plus grandes forces du livre apparaissent en le lisant en parallèle aux textes de Ito sur la culture otaku ou les livres de Lamarre et Azuma. Lors de ma première lecture, j’ai été fasciné par les aventures transmédiatiques du character image d’Atomu à travers les mangas, les anime, les autocollants et les jouets. À ma deuxième lecture, par contre, l’idée maitresse qui se démarquait était la façon dont la mise en marché, la technologie et la culture s’entrelaçaient aux origines de l’anime. Cette impression était alimentée par ma lecture de Digital Play: The Interaction of Technology, Culture, and Marketing de Stephen Kline, Nick Dyer-Witheford et Greig de Peuter (2003), un livre qui expose les forces exercées dans l’industrie et la culture du jeu vidéo. Ainsi, j’ai associé Anime’s Media Mix de Steinberg à Anime Machine de Lamarre et à Otaku de Azuma, en y trouvant dans chacun des éléments complémentaires aux textes des autres à propos de la mise en marché (Steinberg), de la technologie (Lamarre) et de la culture (Azuma) de l’anime. En tant que complément de ces deux livres, Anime’s Media Mix jette la lumière sur un volet important, mais parfois négligé du casse-tête de la culture de l’anime : celui de la mise en marché et de son rôle déterminant dans la promotion et le renforcement du désir du consommateur.
En conclusion, peu importe la façon dont vous lirez ce livre, il demeure une ressource archivistique formidable avec une multitude de publicités de cette époque qui fait de ce livre un panorama rigoureux des origines de l’anime media mix.