** Le texte qui suit et une retranscription d’un échange courriel avec la journaliste Céline Gobert du journal Voir.ca, dans le cadre d’un article sur la saga SW et les femmes **
– En tant qu’expert de l’univers Star Wars, quel regard portes-tu sur les personnages féminins ? Notamment en comparant Padmé / Leia, les deux grands personnages féminins des deux trilogies.
Je parlerais d’abord de New Hope, l’épisode IV qui sortit en 77. Dans un genre traditionnellement associé au monde masculin, la science-fiction, l’introduction du personnage de Leia, un personnage féminin fort qui prend les devants, qui a le sens de la répartie, et qui ne s’en laisse pas imposer, devait être extrêmement rafraichissante. Surtout dans les années 70, des années sombres qui rimaient avec Scarface, Le parrain, Taxi Driver, The French Connection. La Princesse Léia, loin de la figure érotisée qu’était Barbarella jouée par Jane fonda, tient tête à l’imposante figure qu’est Darth Vader dès la première scène, ce qui devait être particulièrement réjouissant pour le spectateur, et peut-être déstabilisant pour d’autres. Pistolet laser à la main, elle résiste aux stormtroopers. Or, ce n’est pas son histoire, mais celle de Luke – jeune fermier à la recherche d’aventures. Sénatrice d’Alderaan, elle représente une figure d’autorité intouchable, que l’on garde à distance, comme son hologramme projeté par R2-D2 qui marquera l’imaginaire de Luke. Il faut noter l’un des premiers commentaires donnés par Luke à la vue de l’hologramme de la Princesse: « She’s beautiful », et les robots C3-PO et R2-D2 qui ne semblent pas savoir qui elle est excepté que c’est un personnage important.
Mais est-ce que la princesse a vraiment besoin d’être sauvée? Emprisonnée par Darth Vader et interrogée par un robot flottant qui la menace d’une seringue, elle résiste encore. Ce n’est pas un sauvetage planifié d’ailleurs, car Luke, Han solo et la bande sont sur l’Étoile Noire purement par accident! Luke est seulement averti sur place par R2-D2 de la présence de la Princesse Léia, apparemment condamnée à mort! Lors du sauvetage, elle n’exprime pas le moindre signe de détresse ni de panique. Quand Luke déguisé en stormtrooper entre dans la cellule, elle est étendue lascivement sur le côté, la hanche saillante sous le regard médusé de Luke, puis elle lui dit, d’un ton cynique : « Aren’t you a little short for a stormtrooper? » Définitivement, elle prend les choses en main en confrontant Solo, osant même critiquer leur tactique de sauvetage et en se moquant de Chewbacca qu’elle traite de carpette ambulante dans la version française! Mais sa fougue sait charmer nos garçons, elle représentera donc cet objet de convoitise chez Luke et Han jusqu’à la fin de l’épisode IV. Toujours à distance de nos héros, elle joue de son image séductrice, encore habillée d’une robe blanche moulante, et d’un décolleté légèrement plongeant, elle décore nos héros de médailles bien méritées.
Sans critiquer les antépisodes, le personnage de la reine Amidala/Padme, dans l’épisode I The Phantom Menace, est un peu plus problématique à cause des contorsions scénaristiques plutôt bidons prises par Lucas, et cela, afin que le jeune Anakin rencontre sa future femme et la mère des célèbres jumeaux. D’un côté il y a le personnage politique de la reine Amidala, aussi inexpressive qu’une huitre congelée… de l’autre le même personnage rendu un peu plus accessible sous la couverture d’une servante, Padme…
À quelques différences près, le personnage de Padme dans Phantom Menace est un beau miroir au personnage de Léia de New Hope. Padme est un personnage féminin fort, qui doit défendre sa cause au sénat intergalactique ; elle est la reine de Naboo, elle veut protéger sa planète de l’envahisseur ; mais elle doit ultimement mener ses troupes elle-même pour reprendre le contrôle de son monde natal. Elle est aidée de jedis, figures masculines aseptisées armées de sabres lasers, tout aussi impassibles qu’elle.
– Est-ce que leurs fonctions, en tant que personnages, ainsi que leur rapport avec les hommes, te semblent les mêmes ? Ou constates-tu une évolution ?
La place qu’elles occupent dans les structures narratives et les rôles qu’elles jouent dans les deux trilogies sont comparables dans un sens. Elles sont les faire-valoir de leurs contreparties masculines. Le rôle de Leia est d’être la soeur de Luke, et l’amoureuse d’Han Solo; le rôle de Padme est d’être la femme d’Anakin et la mère de Luke et Leia. Leurs rôles n’ont jamais été d’être à l’avant-scène. On serait pourtant tenté de croire le contraire dans ESB. Quand Luke quitte Dabobah, Obi Wan Kenobi dit: « That boy is our last hope », ce à quoi Yoda répond : « No, there is another » en faisait référence à Leia – ce qu’on comprend dans ROTJ. Il s’agissait toutefois d’une fausse piste, nous laissant croire qu’un autre Skywalker pourrait venir à la rescousse, Leia en l’occurrence. Mais il n’en est rien! La première trilogie est l’histoire de Luke, la deuxième l’histoire d’Anakin/Darth Vader.
Dans les premiers opus des deux trilogies, Padme et Leia réussissent leurs paris de gagner contre les forces du mal. Sous le couvert de femmes fortes, elles sont pourtant et rapidement confinées dès le début au rôle d’objets de convoitise masculin. D’un côté Leia est convoitée par Luke et Han; Padme l’est par le très jeune Anakin. Mais elles sont de grandes résistantes. Elles résisteront aux charmes masculins durant les épisodes suivants… Mais résisteront-elles longtemps?
Dans ce sens, elles perdent leurs statuts de « femme forte » dans les derniers épisodes (III et VI), quoi qu’on en dise ou ce que les films veulent nous laisser croire. De femmes fortes et fougueuses, elles changent subtilement de statut et de rôle pour devenir la femme aimante près à tout, quitte à s’effacer, pour sauver l’honneur de l’être aimé. Elles deviennent littéralement victimes de leurs propres choix, réduites au silence, et cela, de manière tout à fait involontaire, subissant les événements, plutôt que de les provoquer comme leurs contreparties masculines (Luke et Anakin). Contrairement à Anakin, aussi victime de ses émotions, mais de manière assumée. Attiré d’abord du côté obscur pour maitriser un pouvoir qui pourrait l’aider à sauver Padme – advenant que son rêve prémonitoire se réalise! Il est motivé par la peur provoquée par le sentiment de perte – ayant déjà perdu sa mère, il ne veut pas perdre Padme. Comme Luke, à la fin de Return of the Jedi, était animé par le sentiment de perdre ses amis et sa soeur Léia avant de libérer sa rage sur Darth Vader.
Ce que je constate également, c’est que dans les derniers volets, Leia et Padme finissent leur parcours en victimes, chacune à leur manière. Dans ROTJ, Leia est capturée et devient l’esclave de Jabba (qui ne se rappelle pas du fameux bikini doré?). Sans être capturée par les Ewoks, elle se retrouve également impuissante, empêchée par les petites créatures d’aider ses amis captifs. Si le statut de victime est peut-être moins tranché avec Leia, il l’est davantage avec Padme, enceinte, mais littéralement violentée par Anakin à la fin de Revenge of the Sith.
Un autre élément narratif plutôt intéressant: les personnages des antépisodes subissent les événements plus qu’ils ne les provoquent, réagissant à la menace grandissante; alors que ceux de la trilogie originale sont en constante quête de sens, ils cherchent, quitte à fuir (comme dans ESB) pour mieux revenir (ROTJ).
Sans vouloir tomber dans l’analyse psychologique à deux sous, la chute d’Anakin, qui devient Darth Vader, pourrait aussi s’expliquer par la séparation d’avec la mère à son jeune âge. L’appel de l’aventure, celle qui promet une vie de jedi, recèle toutefois son côté obscur. Celui d’être attiré par le genre féminin, Padme en l’occurrence sur Tatooine. Quel drôle de message cela envoie! Effectivement, dans Phantom Menace, Anakin est séparé de sa mère et tombe amoureux de Padme. Dans Attack of the Clone, sa mère est torturée par les hommes des sables et rend l’âme dans les bras d’Anakin. Cette expérience traumatisante est le premier pas vers le côté obscur. Puis, dans Revenge of the Sith, c’est la peur de perdre Padme qui le pousse à faire une alliance avec le seigneur Sith. Il y a une différence majeure entre les deux trilogies quand on parle du rôle des femmes et leurs places. Dans les antépisodes, Anakin semble entretenir un rapport ambigu et malsain avec celles-ci. Les femmes n’occupent pas de rôle constructif ni moteur, elles restent relativement passives, comme Shmi la mère du jeune Anakin qui reste de marbre devant le départ de son fils; Padme semble toujours être au-dessus de tout, en contrôle d’elle-même, contrairement à Leia qui est plutôt prompte, en proie à ses émotions, mais qui évolue, qui apprend de ses erreurs, plus près de nous quoi.
Dans ROTJ, Leia réussit à se libérer de sa condition d’esclave et d’objet de parure. Le dépassement de sa condition passe par le meurtre du phallique Jabba, qu’elle finit par étrangler à l’aide d’une chaine qui la maintenait prisonnière. Ce qui par ailleurs était parfaitement anticipé dans une scène antérieure quand Leia libère Han Solo de la carbonite, qui était lui aussi gardé dans cet état congelé et végétatif comme objet de collection par Jabba; tout comme Luke qui réussit à se libérer in extremis de l’emprise du Rancor.
À l’inverse, à la fin de Revenge of the Sith, Padme reste prisonnière de ses choix, sans pouvoir se libérer, et en tombe littérallement victime. Elle qui était pourtant beaucoup plus proactive que Leia.
– Les seconds rôles type Shaak Ti ou Aalya Secura sont assez maigres, non? Qu’en penses-tu ?
Posez cette question c’est y répondre. Shaak Ti n’est vue qu’à quelques reprises en tant que personnage d’arrière-plan. Alors qu’on aurait pu voir un échange entre elle et nos héros au début de l’épisode III, lorsqu’elle est tuée par General Grievous, cette scène fut coupée au montage. Quant à Aalya Secura, ont la voit seulement se faire abattre dans le dos par les clone troopers quand l’ordre 66 est donné par Darth Sidious.
Or, les personnages féminins prennent beaucoup plus de place dans l’Univers Étendu (l’Extended Universe ou EU) – maintenant sorti du canon et relégué au statut de Legends par Disney – et dans les dessins animés tels que Clone Wars et Rebels (qui sont par ailleurs de loin meilleurs que les antépisodes). Dans l’Univers Étendu, Mara Jade (qui devient la femme de Luke) et Jaina Solo (une descendante de Leia et Han), en sont les plus célèbres exemples. Le dessin animé Clone Wars, gardé canon par Disney, suit les aventures d’Anakin et de son jeune padawan Ashoka Tano (mon personnage favori de l’univers Star Wars), une adolescente togrutas, la même race que Shaak Ti. Son importance est telle qu’elle réapparait dans la série soeur, Rebels, dont l’histoire se déroule 25 ans plus tard. Le sort d’Ashoka risque malheureusement de tomber entre les mains de son ancien maitre devenu Sith, Darth Vader, dans la série Rebels présentement diffusée. Un autre personnage féminin important des dessins animés, Sith celui-là, est Asajj Ventress, apprentie de Count Dooku. Les personnages de Rebels sont aussi plus mix que les films. En comparaison, malgré la présence de Léia et Padme, les films semblent beaucoup plus réservés au domaine masculin, avec ses batailles spatiales et ses duels de sabres lasers.
– L’Épisode 7 a essuyé de nombreuses critiques avant même le tournage pour ne pas avoir inclus assez de personnages féminins. Penses-tu que JJ Abrams n’ait pas le choix aujourd’hui que de féminiser l’univers Star Wars ? (jusqu’au droïde BB8!)
De manière générale, la science-fiction a embrassé l’équilibre des genres depuis un bon moment. Je pense aux dernières séries Star Trek, aux films de Cameron, à certaines animations japonaises comme Ghost in the Shell par exemple, et même dans les jeux vidéo, comme la série Mass Effect avec les personnages de Tali et Liara (même si on pourrait y reprocher une certaine érotisation de l’image de la femme, elles restent en général de puissants personnages féconds sur le plan narratif, qui ne s’en laissent pas imposer).
Malgré les critiques essuyées il y a quelques années pour le peu de présence féminine dans le prochain SW, je rappellerais maintenant que le personnage principal de la prochaine trilogie est une femme! Littéralement le penchant féminin du personnage de Luke Skywalker. Je ne crois pas que J.J. Abrams n’ait pas eu le choix de féminiser SW, ça allait de soi de donner autant d’importance aujourd’hui aux deux sexes. J.J. Abrams est de son époque après tout, là où Lucas était plutôt à la remorque d’un temps qui n’était pas le sien. Or, on peut aussi jouer à l’avocat du diable et constater, avec seulement les images qu’on a vues jusqu’à présent, que le personnage de Rey semble avoir été masculinisé, que ce soit dans l’attitude, son habillement, son image d’elle gambadant dans le désert avec un bâton démesuré. Bref, je suis très curieux de voir le film à cet égard, entre autres. Au cinéma, les personnages féminins forts sont souvent masculinisés d’ailleurs. L’exemple qui me vient à l’esprit est celui de Trinity dans The Matrix. (après avoir vu le film, j’aimerais préciser que le personnage de Rey n’a pas été masculinisé comme les bandes-annonces semblaient l’annoncer. Enfin, c’est une jeune femme en pleine possession de ses moyens, féminine sans être érotisée)
– En quoi le personnage de Rey te paraît différent et annonciateur d’une nouvelle ère (toujours dans la perspective de la représentation des femmes) ?
Pour les raisons évoquées ci-haut, je pense que la présence dans la prochaine trilogie d’un personnage féminin fort, et surtout principal, est seulement logique, particulièrement à la lumière de l’Univers Étendu qui a déjà pris ce virage il y a bien longtemps. J’aimerais noter aussi que les rôles d’antagonistes, dans les films, ont jusqu’ici presque toujours été réservés aux hommes. Le stormtrooper chromé que l’on voit dans la bande-annonce de Force Awakens, connu sous le nom de Capitaine Phasma, est joué par une femme, l’actrice Gwendoline Christie. Et j’ose espérer que ce n’est pas seulement à cause de sa grandeur – elle mesure 6’3″! Cela dit, les prochains films seront fascinants à suivre pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’un film est toujours le reflet de son temps. La première trilogie fut réalisée après la Guerre du Vietnam, les antépisodes après la guerre en Irak et pendant l’époque des attentats du 11 septembre. Celle-ci arrive à une époque où le terrorisme, perpétré par un petit groupe de loups solitaires, et l’impact des changements climatiques occupent l’avant-scène internationale. Traditionnellement, la guerre et les femmes n’ont jamais vraiment fait bon ménage. Quand on pense à la guerre, de réflexe on ne pense pas à la femme, mais à l’homme qui s’abrutit au contact d’une arme sur un champ de bataille. Cela ne veut pas dire que la femme n’est pas bagarreuse, loin de là. Mais ses tactiques sont différentes, plus furtives, subtiles. L’homme que je suis, associe plus rapidement la femme et son aptitude à manipuler son environnement de manière à sécuriser le clan, plutôt que de la voir sur un champ de bataille – c’est plutôt un compliment. Dans ce sens, je suis extrêmement curieux du regard que porteront les auteurs des prochains scénarios sur le rôle que prendra Rey dans cette saga familiale, JJ Abrams et Lawrence Kasdan pour Force Awakens, et Ryan Johnson pour l’épisode 8 (réalisateur qui nous a offert l’excellent Looper !).
– Les fans sont-ils prêts à cette féminisation ? Et pourquoi ?
Encore une fois, parler de la féminisation de Star Wars en lien avec les fans, et surtout se demander s’ils sont prêts pour cela me semble un peu présomptueux. Bien sûr que oui les fans sont prêts pour cela! Surtout parce que les fans très investis ont déjà consommé une bonne partie de l’Univers Étendu qui comprend son lot de personnages féminins importants. Et aussi parce qu’on retrouve autant de fans de Star Wars féminins que masculins. On peut dire toutefois qu’ils interagissent relativement de manière différente avec leur univers fétiche. Surtout quand on parle de créations de fans. À propos de cette différence, je me permets de te citer une partie de ma thèse à ce sujet :
« Alors que les jeunes hommes semblent privilégier l’investissement de leur excitation cinéphanique dans l’acquisition de compétences techniques, les jeunes femmes s’intéressent généralement plus aux personnages ainsi qu’à leurs sorts dans la narration. Évidemment, comme le souligne Brooker, il n’est pas complètement absurde d’affirmer que Lucas se reconnaît davantage dans les aspirations des jeunes males qui veulent réaliser des films, c’est-à-dire : « the ‘boy’ approach, based on technical achievement with small budget, fast-paced action and visual splendor, rather than with the ‘girl’ approach of genfic and slash, which uses the stories to examine relationship dynamics and gender roles » (2002, p. 176). Si l’on transpose ces deux postures dans la typologie cinéphanique, on peut penser que l’approche masculine (the ‘boy’ approach) correspond davantage à celui qui veut prolonger une expérience cinéphanique de type énergétique, alors que l’approche féminine (the ‘girl’ approach) semble plutôt être dirigée par l’expérience d’une cinéphanie narrative. Quoi qu’il en soit, le royaume du fanfilm est encore aujourd’hui dominé par les jeunes hommes, attirés sûrement par l’attrait ludique et geek que représente le dispositif technologique nécessaire pour réaliser un film (caméra, effets spéciaux, ordinateur, etc.), remplaçant les pas si lointaines petites voitures de course et les figurines. » (2014, p. 212)