« Brandir le poing » : Média, engagement et « musiques émergentes »

Volume 6, numéro 1, décembre 2016

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MARTIN LUSSIER
Université du Québec à Montréal

Résumé
Partant de la suggestion que l’engagement musical ne serait pas qu’affaire de textes contestataires, cette contribution amorce le repeuplement d’une musique populaire engagée trop souvent prise pour acquise. Elle propose notamment que la presse écrite a un rôle important à y jouer et s’attarde aux énoncés affirmant l’engagement de produits musicaux ou d’artistes. S’appuyant sur une archive médiatique, cette contribution s’intéresse aux façons disparates dont la presse écrite québécoise articule les « musiques émergentes » à une forme ou l’autre d’engagement. Quatre figures en sont esquissées : la politique du texte, du contexte, des industries culturelles et de la conscientisation.

Mots-clés : Engagement, musique populaire, média, presse écrite, représentation

Abstract in English at the end of the article

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Introduction
Dans le cadre de la couverture médiatique de l’édition 2016 des festivités de la Fête nationale du Québec, le quotidien La Presse dédiait un cahier complet à l’art engagé. En première page, le texte d’amorce en surimpression sur l’image d’une foule tenant des drapeaux du Québec annonçait : « La Presse se demande ce que sont devenus le film politique et la chanson engagée. » (« Où est passé l’art engagé ?, » 2016, p. 1) La question sous-entend notamment qu’il y aurait eu un changement, alors que « la fête nationale a naguère fait écho aux revendications sociales et aux aspirations politiques des artistes. » (« Où est passé l’art engagé ?, » 2016, p. 1) Cette impression que « quelque chose » se serait transformé, que les choses ne seraient plus comme « naguère », que les artistes et la musique populaire en général au Québec se seraient en quelque sorte assagis, semble être un thème répétitif dans les médias québécois au cours des dernières années, voire des dernières décennies (Blais-Poulin, 2016a ; Corneillier, 2004 ; Doyon, 2007 ; Dumas, 2001 ; « Les mots de la chanson d’aujourd’hui, » 2016 ; « Où est passé l’art engagé ?, » 2016). En effet, au cours des années, les reportages déplorant la rareté de productions musicales engagées ou l’assagissement d’artistes autrefois reconnus pour leurs chansons contestataires se sont faits récurrents. D’autres, beaucoup moins nombreux cependant, suggèrent au contraire que l’engagement en musique se porterait plutôt bien (Corbo, 2005 ; Cormier, 2000 ; Laurence, 2001 ; Sasseville, 2004 ; Trottier & Descheneaux, 2004). À cela, plusieurs reportages ou chroniques publiés dans les médias écrits montréalais ajoutent que l’engagement en tant que tel se serait diversifié, « [qu’]un artiste peut s’engager de mille et une façons sans que cela soit explicite et exprimé dans une chanson ou un film. » (Petrowski, 2016, p. 2) Partant de cela, cette contribution propose de porter un regard aux figures bigarrées de l’engagement en musique, telles que proposées dans les médias écrits québécois, principalement montréalais — sans s’y limiter, cependant.

Les études sur la musique populaire et l’engagement sont également marquées par cette conception de plus en plus diversifiée. En effet, un nombre croissant d’analyses montre la multiplicité des modes d’engagement des artistes — notamment, les travaux de John Street (1997, 2012). Si l’engagement en musique est souvent tributaire de textes représentant les maux de la société, ceux-ci n’en épuisent pas toutes les modalités. C’est le cas également pour d’autres formes d’art :

Mais la politisation de l’art est-elle simplement fonction de la représentation ? Autrement dit, l’art est-il politique dans la mesure où il représente le monde et en thématise les enjeux ? La question est bien sûr au cœur du débat et revient constamment dans les polémiques sur l’art engagé qui traversent le XXe siècle. (Pleau, 2011, p. 3)

Dans le même ordre d’idée, l’engagement en musique est souvent pris pour acquis : il serait notamment « de gauche », lié à une conscience politique raffinée ou à une forme d’avant-garde, le produit des marges ou s’inscrirait dans un activisme explicite. Si ces quelques éléments permettent peut-être de décrire adéquatement une part de ce qui est considéré comme « musique populaire engagée », ils demeurent des formes d’évidence qui mériteraient d’être questionnées. Par exemple, l’argument voulant que la musique engagée soit « de gauche », que « par essence » elle conteste en quelque sorte l’ordre dominant, peut être mis en perspective par le fait que même des groupes d’extrême droite, tels que le Ku Klux Klan, auraient écrit et diffusé des « protest songs » (Laing, 2003), à une époque où ils représentaient à toutes fins utiles cet ordre dominant. En effet, comme le proposent Lise Bizzoni et Cécile Prévost-Thomas, l’engagement est un creuset où s’entremêlent des significations contrastées :

la notion même d’engagement peut contenir diverses significations qui rendent moins hégémonique la conception classique de l’art engagé entendue comme expression artistique au service d’une cause sociale. […] [L]’engagement en chanson autorise une pluralité de significations et oppose ainsi à une vision exclusive et passéiste d’une notion trop souvent stigmatisée et mal interprétée, une diversité d’expériences toujours renouvelées qui alimente les actes et les idées d’une réalité tangible. (Bizzoni & Prévost-Thomas, 2008, p. 13-14)

À cette mise en perspective de l’engagement, une opération similaire pourrait être effectuée avec la musique : les nombreuses analyses issues des études sur la musique populaire témoignent non seulement de sa richesse, au-delà du simple produit sonore, mais aussi de sa complexité.

Face à l’ambiguïté entourant la musique populaire engagée, quelques recherches ont proposé plutôt de se tourner vers les énoncés affirmant l’engagement de produits musicaux ou d’artistes, notamment. Est engagé ce qui serait dit tel. Dans ce processus, les médias ont un rôle de premier plan à jouer : ils constituent des acteurs importants dans l’affirmation de l’engagement d’une artiste, d’un artiste, ou d’une musique (Durand, 2008). Ainsi, pour Bizzoni et Prévost-Thomas, l’engagement ne se situerait pas dans une volonté de l’artiste, mais bien dans tout le dispositif permettant d’accorder une signification engagée à sa musique, sa pratique, sa personne : « l’engagement de l’artiste est déterminé par le public, l’auditoire et tout le système de chronique et de critique contenu dans les journaux et les revues, plus que par l’artiste lui-même comme acte réfléchi. » (Bizzoni & Prévost-Thomas, 2008, p. 12) En d’autres mots, et en empruntant ceux de Stuart Hall (1986), l’articulation de la musique et de l’engagement serait ainsi « non nécessaire », contingente, un phénomène situé historiquement auquel les médias ne sont pas étrangers, bien au contraire. C’est en ce sens que cette contribution s’intéressera plus particulièrement aux façons disparates dont la presse écrite québécoise, en particulier publiée à Montréal, articule des produits musicaux, des artistes et une forme ou l’autre d’engagement. Partant d’une archive constituée de coupures de presse couvrant la période 2000-2016, amassées par le truchement des bases de données numériques disponibles dans les bibliothèques universitaires de la métropole québécoise, cette recherche — qui demeure exploratoire — propose d’esquisser quelques figures de l’engagement musical qui en surgissent. Celles-ci n’épuisent en rien la multiplicité des façons d’articuler musique et engagement, mais permettent plutôt d’en montrer la pluralité. Afin de mieux circonscrire l’archive, celle-ci a été construite en la limitant aux articles s’intéressant de près ou de loin à l’engagement des « musiques émergentes » : un ensemble hétérogène d’artistes et d’artisans, d’organismes, de produits musicaux, d’événements et de sonorités, entre autres, qui a représenté une part non négligeable de la musique dite locale au Québec au cours des 15 dernières années (Lussier, 2011). Partant d’un ensemble de cas qui ont été associés médiatiquement aux « musiques émergentes », cette contribution propose donc d’ébaucher quelques figures de l’engagement musical en les regroupant selon quatre thèmes : la politique du texte, du contexte, des industries culturelles et de la conscientisation.

La politique du texte
L’une des premières figures proposées dans les reportages est sans aucun doute celle de la chanson « à texte », où sont décrits, parfois dénoncés, les maux d’une époque. S’inscrivant dans la suite des artistes visuels réalistes du XIXe siècle (et de la première moitié du XXe siècle au Québec), qui dénonçaient les conditions de vie des classes laborieuses en en proposant des descriptions moins naïves et idéalisées que celles de leurs contemporains (Lamoureux, 2009), cette figure sous-entend une intention explicite d’opposition de l’artiste — ou de la parolière, du parolier — qui se traduit souvent dans des mots. Si la recherche sur la musique populaire mentionne souvent la tradition de la protest song comme l’incarnation de cette forme d’engagement politique en Amérique du Nord (Laing, 2003; Street, 2012; Weinstein, 2006), les médias montréalais mettent régulièrement de l’avant une poignée d’artistes comme porte-étendards de la musique engagée « à et par le texte » au Québec. C’est à ce titre que Loco Locass, trio rap, apparaît de façon presque systématique dans les médias écrits : un exemple éloquent d’artistes engagés qui s’opposent au statu quo de son époque par ses textes (Corbo, 2005 ; Guimond, 2012b ; Renaud, 2001). Dans certains articles de la presse, le trio est présenté comme le représentant d’autres voix, comme un « amplificateur du citoyen » (Batlam, dans Lamarche, 2005), qui offrirait à une frange de la population un véhicule pour faire entendre ses récriminations. Ainsi, l’engagement de la musique du trio serait justifié par la politique du texte : le trio re-présenteraient — trait d’union volontaire — à la fois un monde de manière moins naïve dans ses textes, à l’image des premiers réalistes, tout en offrant de le faire au nom d’une portion de la population, à titre de représentant. Pour emprunter le vocabulaire de Gayatri Chakravorty Spivak (1990), l’engagement serait en ce sens tributaire d’un texte qui serait du même coup « proxy » et « portrait », à la fois une représentation politique d’un groupe, son porte-parole en quelque sorte, et une façon de mettre à l’ordre du jour un thème.

L’une des critiques soulevées à quelques reprises dans la presse écrite envers Loco Locass et d’autres artistes engagés « à texte et par le texte » est l’impression de faiseurs de leçons ressentie par quelques chroniqueuses et chroniqueurs culturels. Leur musique, comme celle d’autres artistes, est décrite comme « cherchant à convaincre », « manichéenne », « éveilleur de conscience », ou encore à l’avantage d’un parti politique en particulier. Dans tous ces cas, la musique engagée est présentée — et parfois critiquée pour cela — comme un instrument au service d’une cause ou d’une valeur : au-delà de l’expression d’une contestation, elle est utile pour orienter les choix, préférences et réguler les comportements des personnes. Elle s’inscrirait de fait dans les moyens mis à disposition pour « conduire les conduites » (Foucault, 2008), permettant de gérer des populations par la culture, de les mettre en mouvement. Les analyses de Tony Bennett (1998) montrent d’ailleurs que la culture fait office d’outil pour la gestion des populations depuis le XIXe siècle, les insérant dans un projet « civilisateur » sans user de la force. Il ne s’agit donc pas de contraindre, mais de faire bouger des populations en les incitant à agir d’une façon plutôt qu’une autre. Certains artistes sont dépeints en effet comme des acteurs permettant de faire bouger les choses, de différentes façons. Pour les Vulgaires Machins, un groupe punk québécois, les différents quotidiens consultés soulignent leur volonté non seulement de proposer un thème à débattre, mais aussi de changer certaines attitudes ou idées d’une population. Par exemple, à quelques jours d’un concert du groupe donné dans une salle de la ville de Québec, le Journal de Québec publiait un article intitulé « Les Vulgaires Machins croient en l’impact social de l’art. » (Drouin, 2007, p. 68) Au-delà de la prise de position, ces artistes sont présentés comme cherchant à convaincre, à transformer les idées des publics visés. Pour les Vulgaires Machins, cela se répercute dans les façons dont la presse décrit leur impact dans le quotidien des fans, notamment en offrant des réponses à leurs questions. Lors d’un entretien publié dans un quotidien montréalais, l’un des membres du groupe souligne :

Tout changement naît d’une argumentation et de la prise de position. On veut que le monde sache qu’on prend position et qu’on ne s’en cache pas […]. Il y a des jeunes qui nous disent que leur vision des choses a changé à lire nos textes. Ils sont assoiffés de réponses sur bien des choses. Je trouve ça déplorable, mais c’est rendu que c’est des bands punk rock qui répondent à leurs questions, pas leurs parents, pas leurs profs. (Beauregard, dans Lamarche, 2003, p. A1)

Si l’engagement est décrit par la politique du texte, c’est également en articulant le propos à une action afin de changer les choses. Dans le cas des Vulgaires Machins, quelques reportages ou entretiens présentent leur passage à l’action dans l’ajout à leurs marchandises promotionnelles vendues lors des concerts de livres « traitant de sujets qui préoccupent les membres du groupe et vendus à bon prix. » (Renaud, 2006, p. 7 ; voir aussi Vigneault, 2004) L’engagement des artistes est ainsi tributaire en partie de la présentation médiatique de leur capacité de transposer l’effectivité des textes de leurs chansons à la vie des populations ou de leurs fans. Le texte est ainsi politique en ceci qu’il initierait une transformation, il permettrait d’orienter en quelque sorte, ou du moins de mettre en mouvement, un groupe de personnes.

La politique du contexte
Si les médias montréalais décrivent des artistes engagés liés aux « musiques émergentes » au cours de la période récente, c’est souvent en les comparant à une génération d’artistes qui les aurait précédés et aurait représenté l’âge d’or de la musique engagée au Québec (Laurence, 2001). Celui-ci aurait été rendu possible par une période de bouleversements sociaux, économiques et politiques qui se seraient en quelque sorte reflétés dans la musique de l’époque. Ce que suggère cette figure est que la musique engagée serait le produit d’une époque ou d’une conjoncture. Mais également, elle propose qu’elle inciterait en retour au changement. En un certain sens, le texte n’est pas le seul garant de l’engagement pour cette figure : l’articulation de la musique à la politique de son époque en assurerait la portée. Pour John Street, la corrélation suggérée par cette figure de la musique engagée se bute à de nombreux problèmes :

The problem with such account is that coincidence may be mistaken for causation […]. While it is possible to correlate the rise and fall of political pop with social and political change, this connection depends on, first, highlighting the political pop, at the expense of other types of pop. It ignores all those songs that are not ‘political’ or not ‘political’ in an explicit way. (Street, 2012)

De ce point de vue, la prétention qu’il y aurait eu un âge d’or de la musique engagée au Québec, résultat d’une période propice du fait des bouleversements qui l’auraient marqué, relèverait d’un regard partiel et partial. De fait, les références à un passé « mythique » (Laurence, 2001, p. D4), à des pratiques engagées « qui correspondent à une époque désormais révolue » (Petrowski, 2016, p. 2), mais qui trouvent un écho — ou non — dans la musique populaire d’aujourd’hui, représentent une formule redondante des dernières années.

En 2006, cette figure de la musique engagée s’est incarnée d’une manière singulière dans un petit débat ayant éclaté des suites d’un extrait d’entrevue avec Jean Leloup, un auteur-compositeur-interprète important au Québec depuis la fin des années 1980, par le chroniqueur culturel Marc Cassivi. Leloup — sous son vrai nom, Jean Leclerc — y propose une critique de quelques artistes liés aux « musiques émergentes » qui ne manque pas de soulever les passions au cours des jours qui suivent :

Les jeunes ne manifestent pas contre la guerre en Irak — de toute façon, les médias n’en parlent plus — alors ils font de la pub. […] C’est de la bonne musique, sucrée un peu. Ils font des exercices de style, mais ils ne racontent pas grand-chose […]. Ici, il n’y a jamais eu de vraie contestation. […] C’était bien gentil, mais ce n’était pas contestataire […]. À force d’être gentil, on peut devenir lent ! C’est bien, la gentillesse. Ici, c’est une qualité qui est quasiment exigée. Mais en général, c’est pas de la gentillesse qu’on exprime, c’est de la peur. […] C’est épouvantable. Le Québec, c’est le royaume de la non-opinion. (Leclerc, dans Cassivi, 2006a, p. 1)

Dès le lendemain, les réactions des chroniqueuses et chroniqueurs culturels sont nombreuses : Leloup/Leclerc serait devenu amer, voire déconnecté des jeunes artistes (« Coups de sonde », 2006 ; Parent, 2006 ; Petrowski, 2006a). Quelques jours plus tard, dans le cadre d’une entrevue à la radio, celui-ci a voulu corriger le tir en précisant sa pensée. Une chroniqueuse fait écho à cette entrevue :

La voix envahie par l’émotion, il a réglé ses comptes non seulement avec son enfance calamiteuse en Algérie où il a vu défiler les militaires et les tortionnaires, mais avec le Québec du confort, du silence et de l’indifférence, berceau d’une relève musicale pétillante, émergente et pas intéressante […]. Parce que ce que Leclerc reproche aux jeunes qui font de la musique au Québec aujourd’hui, c’est de n’avoir rien vécu […], ça nous dérange dans notre petit confort de coton ouaté. (Petrowski, 2006b, p. 2)

Ce que Leloup/Leclerc suggère est que le contexte participerait à faire être la musique engagée. En effet, celle-ci devient une forme de résistance : hors du texte, son caractère engagé se situerait dans la biographie de l’artiste, et souvent de la communauté de laquelle elle ou il est issu. Ce passage de la trajectoire personnelle de l’artiste — marquée par les références à « l’enfance », au fait de « n’avoir rien vécu », de devoir « payer le prix du sang » (Petrowski, 2006b) — à la musique engagée témoigne de la façon par laquelle le récit biographique permet bien souvent d’accorder une signification, voire une valeur à la musique elle-même : le fait de chanter est présenté comme une forme de résistance.[1]

La politique des industries culturelles
En 2002, alors que le gala annuel télévisé de remise de prix de l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) bat son plein, quelques musiciens du collectif rap 83 montent sur scène et interrompent l’animateur de la soirée. Prenant le micro, ils réclament qu’une place plus importante soit accordée au rap par les industries musicales locales — diffuseurs, association de producteurs, etc. Cette interruption devient l’un des points marquants de l’édition 2002 du gala de l’ADISQ et ne manque pas d’être soulignée par les chroniqueuses et chroniqueurs culturels le lendemain. D’ailleurs, interviewé à ce sujet, le président de l’ADISQ affirme être à l’écoute des revendications formulées sur scène et réfléchir, notamment, à remettre dès l’année suivante le prix pour l’album hip-hop au cours du gala télévisé (Lavoie, 2002). Quelques jours plus tard, l’un des membres de 83 précise l’intention derrière le geste d’éclat porté lors du gala. Dans l’entretien, c’est le désintérêt des industries musicales jugées dominantes qui est pointé du doigt :

Peu de gens connaissaient le rappeur 2 Faces et son groupe hip-hop 83 avant le dernier gala de l’ADISQ. Les chansons du groupe ne tournent pas à la radio et ses membres ne sont jamais invités à la télévision. Alors, ils se sont invités eux-mêmes… Les voilà devenus le symbole de la frustration des artistes qui en ont marre. […] Qu’est-ce qui l’a poussé à agir ? L’indignation. (Vigneault, 2002, p. C2)

Autant au cours de l’événement que dans les commentaires des médias québécois, l’enjeu principal est celui de l’industrialisation de la musique populaire. Bien souvent, cette industrialisation est présentée comme une tare pour la musique : elle serait ce qui viendrait pervertir des œuvres, autrement considérées « authentiques ». Pour Simon Frith, au contraire, la musique populaire n’est pas le point de départ immaculé, mais bien le produit final de l’industrialisation. Il souligne que l’industrialisation est en fait « a process in which music itself is made—a process, that is, which fuses (and confuses) capital, technical and musical arguments […]. [A] form of communication which determines what songs, singers and performances are and can be. » (Frith, 1988, p. 11) En ce sens, toute musique ne serait possible que dans un contexte industriel précis, qui scande en bonne partie ce qui peut être produit, circulé et consommé. Par la critique de cet état de fait qui est exprimée, 83 est un des exemples de cette figure médiatique importante de l’engagement des artistes.[2] Elle s’incarnerait notamment dans des pratiques volontairement en marge des industries musicales dominantes. L’engagement des artistes est alors décrit comme s’exprimant non pas dans les textes des chansons, mais bien dans des pratiques industrielles oppositionnelles.

Entre 2001 et 2003, cette figure médiatique de l’engagement des artistes par des pratiques industrielles ouvertement antagonistes s’est fortement exprimée dans le mouvement Tous contre la Guilde. En 2001, la Guilde des musiciennes et musiciens du Québec envoie des avis de négociation à des bars et petites salles de spectacles de Montréal afin de garantir que ceux-ci se plient aux barèmes salariaux établis par le syndicat. Éclate alors l’affaire du Café Sarajevo, une petite salle de spectacle montée en emblème médiatique de la contestation des gestes et décisions de la Guilde. Au cœur de cette contestation — qualifiée par certains de « grogne […] assourdissante » (Titley, 2002), voire de « guérilla musicale » (Petrowski, 2002) — des artistes se regroupent sous l’appellation Tous contre la Guilde et s’opposent à leur syndicat par des concerts qui, explicitement, n’en respectent pas les règles minimales d’engagement. Pendant plusieurs mois, l’affrontement entre les artistes émergents se réclamant de Tous contre la Guilde et le président du syndicat fait les manchettes des hebdomadaires culturels montréalais. Cette figure médiatique de l’engagement est tributaire de celle de l’émergence de l’artiste comme travailleur. Elle implique des artistes qui opèrent une réflexion sur la pratique même de la musique et réagissent à leurs propres conditions de travail. Comme le souligne l’un des artistes interviewés par un journaliste dans ce cadre : « C’est essentiel de s’engager dans les affaires qui nous concernent, c’est justement parce que personne ne s’est jamais impliqué avant que Subirana [le président de la Guilde] a pu faire autant de ravages. Que ça nous serve de leçon ! » (Goulet, dans Parazelli, 2003, p. 26) Médiatiquement, cet engagement des artistes dans des formes de contestation de leurs propres conditions de travail qui passe par d’autres formes que celles du syndicalisme traditionnel, et va même jusqu’à s’y opposer, est régulièrement présenté comme une nouveauté qui remet en cause l’organisation du travail et oppose deux générations d’artistes. L’organisation des rapports de pouvoir au sein des industries est ainsi au cœur de cette figure qui implique une contestation des conditions de travail et de la domination ressentie de certaines industries culturelles. À cela, la réponse proposée par les musiciennes et musiciens en est souvent une qui pourrait être qualifiée de « néo-libérale » — pour de nombreuses analyses issues des études sur la musique populaire, celle-ci ne serait ainsi pas contraire au discours dominant valorisant notamment le travail précaire (Baker, 2015 ; Menger, 2006) et la pluriactivité (Perrenoud, 2009). Elle prône l’autoproduction, l’entrepreneuriat ainsi que le travail indépendant en marge des industries culturelles comme lieu de la contestation (par exemple, voir Petrowski, 2002).

La politique de la conscientisation
Aux différentes figures médiatiques de l’engagement des artistes de musique populaire, en particulier ceux qualifiés « d’émergents », une dernière s’ajoute et passe notamment par des reportages décrivant des artistes engagés dans des stratégies de mise en visibilité. Celles-ci relèvent de la révélation, du dévoilement public de certains groupes ou communautés qui seraient, par ailleurs, invisibles sur la place publique. Samian, rappeur de Pikogan en Abitibi, au Québec, est un bon exemple de cette mise en visibilité. Algonquin de naissance, il est régulièrement appelé à titre de représentant ou de porte-voix non officiel des nations autochtones habitant le territoire québécois :

Grâce à des festivals, mais aussi aux consulats du Canada qui lui demandent de représenter le pays en tant que membre des Premières Nations. […] Samian craint-il les étiquettes, d’être « l’Amérindien de service » ? « Ben non, il faut en profiter ! lance-t-il. Je ne suis pas cave non plus. Si je fais un show devant la reine d’Angleterre, c’est que je fais partie de la subvention. Mais moi, je me fais entendre. Les autochtones doivent être représentés. » Selon Samian, le rap est le véhicule parfait pour faire passer un message. « C’est une prise de position sociale. Ça donne une voix à ceux qui n’en ont pas. (Côté, 2013, p. 12)

Au-delà des invitations à participer à des événements tels que des festivals, les différents reportages portant sur Samian soulignent d’autres façons par lesquelles celui-ci serait un artiste engagé : par exemple, la promotion de la langue algonquienne (Blais, 2008 ; Blais-Poulin, 2016b), l’implication auprès d’organismes artistiques œuvrant dans les communautés autochtones (Côté, 2013), la description de la réalité de celles-ci en dehors des stéréotypes (Perreault, 2007), ou encore l’accueil dans certains villages (Montpetit, 2007). À chaque fois, la place qu’il occupe dans la lutte pour la visibilité traverse les reportages dans les médias. Cette figure de la musique engagée implique d’une part l’affirmation, voire la revendication que l’artiste ou la musique elle-même serait en quelque sorte représentatif de groupes, généralement conçus comme en situation d’oppression. Elle est en cela « politique » et s’insère dans des gestes volontaires de conscientisation visant à ce que la voix de ces groupes soit non seulement exprimée, mais également entendue. Cette figure de la musique engagée permet ainsi de lutter, en partie, contre l’invisibilisation : l’existence d’un groupe ou d’une communauté est rendue manifeste par l’artiste ou la musique elle-même.[3]

En 2012, Denis Blanchette, un travailleur technique du milieu du spectacle, est assassiné par un homme qui tentait de faire irruption dans la salle où se trouvait la nouvelle Première ministre du Québec, élue quelques minutes plus tôt. À la suite du décès tragique de ce travailleur du milieu du spectacle, une soirée caritative a été organisée pour venir en aide à sa famille. La participation à des événements caritatifs de tous ordres, notamment des téléthons et des concerts bénéfices tels que celui venant en aide à la famille de Denis Blanchette, est une des stratégies participant des formes de conscientisation décrites dans les reportages au cours des dernières années. Contrairement à la chanson « à texte », ce n’est pas ce qui est représenté dans les œuvres musicales qui est ici garant de l’engagement, mais la participation des artistes à l’événement même. Par là, elles ou ils expriment leur participation politique en montrant leurs « feelings or display their stance about a matter. » (Parry et al., cité dans Street, 2012, p. 65). Les reportages médiatiques portant sur les préparatifs de la soirée soulignent presque tous l’importance pour les artistes d’être présents lors du concert bénéfice : ils remarquent d’ailleurs massivement que « personne n’a dit non » (Côté, 2012), ou la rapidité à laquelle « la liste des artistes qui avaient accepté d’y participer s’agrandissait tous les jours. » (Guimond, 2012a, p. W37) Au-delà des textes et des musiques, la présence à l’événement des artistes leur permet de rendre explicite une cause qui leur tient à cœur : ici, la solidarité, la paix, voire la famille ou la charité. Comme l’exprime l’une des journalistes couvrant l’événement, la soirée a permis de montrer cette cause de manière concrète : « c’était ça, le spectacle d’hier : une belle grosse dose d’amour et de solidarité pour une famille dans le deuil. » (Émond-Ferrat, 2012, p. 16) La participation et l’engagement ne se jouent donc pas uniquement dans le registre de l’opposition, mais aussi dans d’autres formes de conscientisation.

À cette forme d’engagement afin de mobiliser les spectateurs à venir en aide à une famille endeuillée, s’en superpose une autre : selon l’organisateur du concert bénéfice, « […] ce concert s’inscrivait dans un “processus de réparation.” » (Ménard, cité dans Guimond, 2012a, p. W37)

Alors que la présence des artistes occupe une place importante dans les jours précédents l’événement, les pièces jouées au cours de la soirée revêtent une importance considérable dans les comptes rendus des journalistes le lendemain. Le choix des pièces ainsi que la performance plus générale des artistes présents s’inscrit pour plusieurs dans un processus afin de « se réapproprier le Métropolis [salle de spectacle où a eu lieu la fusillade ainsi que le concert-bénéfice] » (Guimond, 2012a, p. W37) ainsi que d’attribuer une signification à l’événement. En effet, l’une des fonctions de la musique populaire est justement de participer à l’attribution d’une signification à des émotions afin d’en permettre l’expression et ainsi de gérer la relation entre les sphères privées et publiques (Frith, 1987). Par exemple, les comptes rendus mentionnent l’apport de deux artistes, Patrick Watson et Sir Pathetik, qui ont présenté au cours de la soirée des créations personnelles offrant une lecture à la fois intime et publique de l’événement : une berceuse pour l’enfant de la victime ainsi que l’enregistrement d’une pièce en « hommage » à Denis Blanchette. Si ces deux pièces sont décrites dans les médias comme des moments particulièrement émouvants du concert bénéfice, elles sont également exemplaires de cette dernière figure de la musique engagée. En effet, c’est parfois à ce titre qu’est présenté le rôle social de la musique : une façon d’interpréter des sentiments individuels à propos d’événements en les faisant entrer dans l’ordre du public.

Conclusion
Les quatre figures médiatiques articulant l’engagement aux « musiques émergentes » présentées dans cette contribution — la politique du texte, du contexte, des industries culturelles et de la conscientisation — permettent d’amorcer le repeuplement des significations de la musique engagée. Elles facilitent du coup la remise en question de l’évidence de cette étiquette, en s’attardant aux façons par lesquelles la presse écrite propose d’autres formes d’engagement que celui, trop souvent pris pour acquis, qui s’exprime par le texte chanté. Le rôle de la presse, tout comme celui d’un ensemble d’autres intermédiaires culturels (Negus, 2002), est de proposer une signification à des produits culturels, de les cadrer en les insérant dans un ensemble peuplé d’autres produits et artistes musicaux déjà, en partie, interprétés. En d’autres mots, le travail de ces intermédiaires que sont les chroniqueuses, les chroniqueurs et les journalistes culturels insère ces produits musicaux dans une catégorie. Si les chroniques culturelles des médias écrits québécois permettent de mettre en forme certaines articulations de la musique et de l’engagement et d’en souligner la pluralité, elles en proposent tout de même une hiérarchisation : certaines sont beaucoup plus mises en valeur que d’autres. En ce sens, il est possible de concevoir que cette valorisation relègue d’autres modes d’engagement dans l’ombre des figures médiatiques les plus prégnantes. Dans tous les cas, la multiplication des façons d’articuler l’engagement aux « musiques émergentes » proposées par les chroniqueuses et chroniqueurs culturels ouvre une piste différente pour explorer les formes renouvelées de l’engagement politique et de la participation citoyenne.

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Martin Lussier est professeur au Département de communication sociale et publique de l’UQAM. Il s’intéresse d’une part aux pratiques des organismes qui coordonnent les artistes, interviennent auprès d’eux et permettent d’articuler des politiques, des industries, des pratiques artistiques, des publics ainsi que des travailleurs culturels. D’autre part, il s’intéresse au déploiement des formes d’action culturelle au Québec. Membre du laboratoire Culture populaire, connaissance et critique (CPCC), du Groupe de recherche sur la médiation culturelle ainsi que du Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS), il a publié en 2011 un livre dédié aux musiques émergentes à Montréal (Éditions Nota-Bene).

Abstract
Starting from the suggestion that musical engagement is not merely a matter of controversial texts, this contribution begins to repopulate a kind of popular music that is too often taken for granted. It proposes that the written press has an important role to play there and focuses on statements asserting the political engagement of musical products or artists. Drawing on a media archive, this contribution focuses on the heterogeneous ways in which Quebec cultural press articulate “emerging music” to one form or another of political engagement. Four figures are outlined: the politics of the text, of the context, of the cultural industries and of conscientisation.

Keywords: Political engagement, popular music, media, written press, representation

Notes

[1] Le cas contraire est également présent dans les médias québécois au cours de la période couverte, où refuser de chanter est présenté comme une forme d’engagement. Par exemple, à la suite de l’utilisation de l’une de ses pièces dans un rassemblement politique du Parti Libéral du Québec, l’auteur-compositeur-interprète Pierre Lapointe s’est braqué dans une lettre ouverte diffusée dans les médias de la métropole québécoise. Ne pas chanter est ainsi parfois décrit comme une forme d’engagement politique : « Pierre Lapointe ne s’était pas gêné pour faire savoir dans une lettre publiée dans le quotidien La Presse qu’il ne digérait pas que le Parti libéral [du Québec] ait utilisé sa chanson  »Je reviendrai » lors du congrès au leadership, le 17 mars 2013, pour réchauffer l’ambiance. » (Dumais, 2016, p. A8)

[2] Un autre exemple particulièrement spectaculaire de cette critique est celui du groupe « post-rock » montréalais Godspeed You! Black Emperor : « Farouchement indépendant, anti-corporatiste et presque anti-médias, le collectif […] a profondément marqué la scène musicale montréalaise et a prouvé qu’il était possible de s’exporter dans des réseaux en marge de l’industrie du disque. » (Cassivi, 2006b, p. 3)

[3] Au cours d’un entretien réalisé dans le cadre du lancement de son deuxième album, Samian souligne d’ailleurs : « C’est drôle parce que depuis la sortie de mon premier album, les journalistes m’ont surtout parlé de la cause des Amérindiens, plus que de ma musique. Et étrangement, c’est ce qui m’a nourri, c’est ce qui m’a appris que j’étais un rappeur engagé. Et qu’il fallait que je continue à dénoncer le silence, l’assimilation. » (Samian, cité dans Blais, 2010, p. 4)