Bien que le festival Fantasia ait su s’ouvrir à différents genres au cours des années, l’horreur a toujours eu une place de choix, et particulièrement le cinéma d’horreur japonais.
Popularité oblige, l’horreur s’immisce partout dans le cinéma japonais, et ce dans tous les genres – et la cuvée 2011 ne fait pas exception – que ce soit le film de yakuza (Yakuza Weapon), le film érotique (Horny House of Horror), le film sportif (Deadball), le drame contemporain (Cold Fish), le film traditionnel ou un mélange des deux (Helldriver).
Par contre, le film le plus intéressant du lot, et sans doute l’un des plus intéressants du festival, est une relecture méditative d’une des principales icônes du fantastique et de l’horreur à l’occidentale : le vampire. Vampire du très populaire Shunji Iwai (il est d’ailleurs probablement le cinéaste japonais le plus populaire en son pays parmi ceux du festival) est loin d’être un film conventionnel du genre, et même loin des œuvres récentes qui l’ont aussi revisité (de Twilight à True Blood, en passant par l’excellent film suédois Let The Right One In). La sensibilité particulière du cinéma d’Iwai est bien présente dans ce film, mais d’une manière heureusement différente, plus recherchée. Il se dégage de ce film une grande candeur, voire une mélancolie que l’on n’a pas vue souvent dans un film de ce genre. Iwai nous présente une profonde réflexion sur la symbolique du vampirisme, sur l’obsession du sang évidemment, mais également sur les « instruments » habituels du vampire (les canines prononcées, la cape, le tombeau – ici remplacé par le congélateur) qui sont devenus des stéréotypes vidés de leurs sens. Si le personnage principal est tiraillé existentiellement entre son désir sanglant et un respect de la dignité de ses victimes (qui sont tous de jeunes femmes voulant mettre un terme à leurs vies), c’est qu’il fait contraste à la figure habituelle du vampire meurtrier (archétype fièrement arboré par un des charlatans rencontrés au cours du film et qui ne s’avère être finalement qu’un détraqué), alors que Iwai le fait habilement osciller entre une réelle incarnation contemporaine du vampire et un simple tueur en série empli de culpabilité (se faisant surnommé « le vampire »). Ce jeu sur la frontière entre la figure du vampire et celle du tueur en série, deux emblèmes incontournables du cinéma d’horreur occidental, est traité ici d’une manière méditative, presque contemplative, et qui fait de ce film un moment fort du festival, méritant pleinement sa mention spéciale du jury « pour son approche originale et contemplative du suicide et la fascination de notre société pour le mythe des vampires. »
Le prix du public pour le meilleur film asiatique (ex-aequo avec 13 Assassins), Cold Fish de Sion Sono, est tiré d’un fait vécu au Japon à propos d’un couple propriétaire d’une animalerie (ici remplacée par une poissonnerie) qui commirent plusieurs meurtres en série d’une grande cruauté. Le film est fidèle aux évènements pendant le premier deux-tiers du film, avant de diverger – pour ne pas dire divaguer – vers une finale des plus sanglantes et choquantes, comme seul Sion Sono en est capable. Dans la même veine que son Strange Circus (2005, ancien gagnant du meilleur film du festival), Cold Fish est un film dérangeant, qui attaque de front plusieurs tabous en critiquant sévèrement la société japonaise, qu’il croit fortement sclérosée. Certains thèmes (la persuasion, l’endoctrinement, la religion) s’apparentent à ceux présents dans son chef-d’œuvre de 2008, Love Exposure, alors que cette fois-ci le réalisateur préfère courtiser avec un genre qu’il connaît bien, l’horreur et le gore – ce qui est en accord avec les critères de la compagnie qui distribue le film, Sushi Typhoon, une sous-division du studio Nikkatsu.
Sushi Typhoon fut créé principalement pour la distribution à l’international, et nullement pour le Japon, alors que ce type de cinéma n’occupe qu’une très petite niche commerciale. Le logo animé (un sushi qui explose), présenté avant chaque film, souligne bien l’intention principale derrière le label : celle de divertir un public friand de chocs visuels et de situations extrêmes, bien entendu plus souvent qu’autrement par un traitement humoristique. Par l’abondance d’effets spéciaux et de moments chocs spectaculaires créés pour satisfaire de manière viscérale son public, ces films sont dès lors parfaitement adéquats pour Fantasia. Et cette année le festival en a présenté plusieurs.
Film très gore et déjanté qui se passe dans l’univers du baseball, Deadball reprend les personnages (Jubeh, interprété par Tak Sakaguchi) et la trame narrative de Battlefield Baseball, film présenté à Fantasia en 2004, afin de créer non pas une suite, mais une relecture tout aussi déjantée. Malheureusement, comme le premier, le film se veut un prétexte à scènes très vulgaires et gratuites – sorte de « fan service » pour amateurs de splatter – qui ne passeront pas à l’histoire, malgré quelques bons moments comiques. Le film a au moins le mérite de ne pas trop se prendre au sérieux, et le plaisir que semble avoir les acteurs est contagieux, ce qui explique sans aucun doute pourquoi Yamaguchi et Sakaguchi aient voulu revisité à nouveau cet univers de baseball extrême.
Du même Yamaguchi, avec encore Tak Sakaguchi dans le rôle principal, mais cette fois-ci également à la co-direction, Yakuza Weapon est plus réussi que le précédent. Le sujet en est plus sérieux, on traite de corruption politique, de luttes de pouvoir, et d’expérimentations gouvernementales secrètes, mais le ton et la facture visuelle ne peuvent l’être moins. On a encore droit à un festoiement de scènes gore, balancées par plusieurs scènes de combats spectaculaires, dont un plan-séquence très impressionnant de plus de quatre minutes, très bien chorégraphié et qui à lui seul vaut le reste du film. Sakaguchi, présent à la projection, a d’ailleurs insisté sur cette scène, expliquant qu’il ne lui fallut que 2 prises pour la réussir, malgré le fait qu’il se soit grièvement blessé au cou durant la première prise.
Helldriver de Yoshihiro Nishimura (d’ailleurs créateur des effets spéciaux des deux films précédents) est sans aucun doute le plus faible de ce groupe et une des grandes déceptions du festival. S’il était parvenu avec Tokyo Gore Police (2008) à créer tout au moins certaines scènes gore plutôt esthétiques, il ne réussit guère dans Helldriver à atteindre ne serait-ce qu’un niveau tolérable dans la réalisation et la scénarisation. Ce film sans intérêt montre surtout que Nishimura est plus talentueux dans la création d’effets spéciaux que dans la réalisation.
Toujours affilié à Sushi Typhoon, Tomie : Unlimited de Noboru Iguchi est le neuvième film de la série des Tomie. Ce film se veut une adaptation beaucoup plus près du manga original de Junji Ito, donc une version plus gore et plus crue. Semblant vouloir attirer également un jeune public japonais, le rôle de Tomie est interprété par Miu Nakamura, une gravure idol (mannequin pour magazines osés), alors que celui de l’ami de sa sœur est interprété (bien faiblement d’ailleurs) par Aika Ohta, une autre idole japonaise faisant partie du super-groupe de musique AKB48 (« AKB » pour Akiba ou Akihabara, le quartier « électrique » de Tokyo, et « 48 » parce que le groupe comprend au total 48 jeunes chanteuses et danseuses), présentement le plus populaire au Japon. Mais si le film est en effet plus près de l’original et gagne ainsi en cruauté, il perd cependant en richesse symbolique par rapport aux premières itérations cinématographiques. Du reste, c’est une version bien pâle et superficielle qui ne se démarquera certainement pas dans cette série.
Pour terminer, toujours au pays de l’horreur et du gore, mais cette fois-ci additionné d’une touche d’humour et surtout de scènes fortement érotiques, Horny House of Horror, de Jun Tsugita, est une parodie d’horreur qui ne se prend pas au sérieux. De manière surprenante, l’humour est plutôt réussi et l’ensemble assez divertissant pour nous faire oublier son manque de budget et son côté amateur (ce qui en fait aussi son charme).