(Originalement publié le 27 juillet 2012 sur la page Facebook de kinephanos.ca)
Le documentaire débute avec un extrait de The Living Doll de Georges Mélies, ouvrant le film sur la problématique si fascinante qui touche le rapport entre l’homme et l’objet ; ici les poupées et plus spécifiquement les poupées grandeur nature à usage sexuel et érotique. C’est avec une étrange curiosité et un voyeurisme bien dissimulé dans la noirceur de la salle qu’on nous introduit dans le sujet, et cela, lors du congrès Erotica. On entend, non sans malaise, les commentaires légers et badins de certains hommes en réaction aux différents objets érotiques qu’ils peuvent toucher allégrement : des seins en silicone et autres représentations réalistes de parties du corps féminin. Et la caméra n’hésite pas à montrer leurs mains baladeuses. Plusieurs entrevues et d’extraits de films et d’émissions de télévision ponctuent ensuite le film, permettant à la fois d’amuser, mais surtout d’ajouter une profondeur à l’interprétation du phénomène qui ne date pas d’hier. La réalisatrice, Allison de Fren, est une universitaire jusqu’au bout des ongles et ça se sent. La présence au générique de la spécialiste universitaire des médias Vivian Sobchak, auteur de l’ouvrage Meta-Morphing, ajoute en conclusion une certaine aura de respectabilité quant au propos qui touche la représentation féminine dans la culture médiatique. Le projet s’est tourné sur 10 années, expliquant peut-être le format de projection 4 :3. Lors du Q&A après la projection, la réalisatrice avoue avoir été motivée par un agenda « féministe », mais qu’elle s’est prise d’affection pour ses sujets et que finalement il valait mieux ne pas porter de jugement. En effet, les propriétaires de poupées ne sont pas tous des « freaks ». Le film réussit à présenter les différents intervenants avec sympathie et un humanisme touchant, et non pas comme des « psychos ». On apprend avec stupéfaction que leurs besoins ne sont pas nécessairement que sexuels. Par exemple, un veuf assez âgé s’est procuré une poupée grandeur nature afin de combler, entre autres (!), le manque de présence humaine dans sa maison. Il aborde le décès de sa femme avec une tristesse bien dissimulée, en retenant quelques larmes. Avec une touchante naïveté, l’homme nous explique qu’il habille la poupée avec les vêtements de sa femme. Un moment émouvant. Le thème de la mort est donc abordé, car ces poupées inorganiques qui représentent l’éternelle jouvence constituent, en quelque sorte, un pied de nez à la fin inévitable qui nous attend. Un film m’est venu à l’esprit en écoutant les propos des différents intervenants. Il s’agit du film d’animation Ghost in the Shell : Innocence de Mamoru Oshii, dont la prémisse tourne autour de meurtres causés par un sexoide (à l’image d’une geisha). Le personnage de Batou fait référence à Descartes et sa poupée mécanique grandeur nature nommée Francine, posant la question à savoir si les poupées ont une âme. The Mechanical Bride ne va pas aussi loin que de poser cette question philosophique, mais les réponses des intervenants interrogés par la réalisatrice nous laissent croire que, même s’ils comprennent rationnellement que leurs poupées ne sont pas vivantes, ils agissent tout de même avec celles-ci comme si elles l’étaient. Le film trace un portrait nuancé de l’industrie qui les produit et des consommateurs, en passant par le Japon et l’Allemagne. Bien que le scénario souffre d’un tournage qui s’est étiré sur dix ans, et abandonné à plusieurs reprises, le film de Allison de Fren est à voir… avec un regard anthropologique.