Production I.G remet le cyberpunk à l’ordre du jour avec une nouvelle réalisation de Kenji Kamiyama (Ghost in the Shell : Stand Alone Complex [2002-05], Eden of the East [2009-10]). L’animation est superbe, les couleurs sont vives et l’animation 3D s’intègre bien avec l’esthétique 2D (en utilisant la technique 3DCGI que Kamiyama nomme re-animation – différente du cel-shading – voir la vidéo ci-bas). La musique de Kenji Kawai est envoutante, mais rappelle un peu trop celle d’Avalon (a-t-il photocopié ses partitions?), et la conception sonore de Tom Myers (Skywalker Sound) est impeccable. Malheureusement, le néophyte se sentira largué, entre les citations de Mircea Eliade et Sigmund Freud, le scénario alambiqué et la fin ouverte et obscure typiquement nipponne.
Clips illustrant la technique 3DCGI vers l’esthétique 2D. La scène rappelle la chute du Major Motoko au début de Ghost in the Shell (1995).
Alors voilà, il faut savoir que cette dernière production I.G se situe dans la continuité d’une franchise qui débuta dans les années 60 avec le manga de Shotaro Ishinomori (connu aussi pour avoir créé le genre Super Sentai avec la compagnie Toei); avec ensuite la sortie de deux films (66-67) et une série télé (68) produits par Toei Animation. D’autres productions médiatiques virent le jour depuis (séries, films et jeux vidéo). 009: Cyborg est aussi reconnu pour avoir été l’une des premières séries ayant eu comme personnages principaux une équipe multiculturelle d’individus aux capacités surhumaines, travaillant de concert pour le bien de l’humanité.
Introduction originale de la série (68)
Comme Tetsuwan Atomu (Astro Boy), Evangelion et Berserk, l’univers de 009 fait partie d’un large corpus de productions culturelles très populaires au Japon. Avec Re: Cyborg, difficile toutefois de départir avec précision ce qui appartient au canon déjà existant dans le manga, ce qui fait de cette nouvelle itération un autre objet hybride entre le reboot, l’adaptation et ce que les Anglais appellent un reimagining ou un retelling, tout cela sur fond de préoccupations politiques bien contemporaines et portant la marque des événements du 9/11, du terrorisme et du psychodrame nucléaire japonais.
Le film ne reprend pas la genèse des neuf cyborgs. Donc, exit la trame du Black Ghost, remplacée par celle d’une entité qu’on ne voit jamais : « His Voice », qui serait responsable d’une série d’attaques suicides à la bombe visant les gratte-ciels. Joe Chimamura (cyborg 009) est le personnage central et ancien chef de la bande des neuf cyborgs. Sa mémoire est mise en veille à tout les trois ans, et réactivée par le docteur Gilmore lorsque le monde a besoin d’être sauvé de la tyrannie. Or, au moment de sa réactivation, il appert que « His Voice » le contacte mystérieusement pour mener une attaque suicide, sans que le scénario soit très spécifique. Sa mémoire est réactivée lors d’une bagarre avec Geronimo (cyborg 005), sous la pluie et les ralenties tout droit sorties de Matrix Revolution. Le scénario est confus et parsemé de nombreuses références au maître Oshii (Ghost in the Shell [1995]) – la réalité virtuelle dans laquelle s’immerge le personnage de Françoise (cyborg 003) en ait un exemple.
Re: Cyborg reprend également des thèmes foncièrement religieux et judéo-chrétiens. Dans le scénario, l’hypothèse pour expliquer l’existence de « His Voice » viendrait d’une découverte archéologique ayant mis au jour le fossile d’un ange (!). La référence à Eliade, l’historien des religions, est relativement bien intégrée, puisqu’elle invoque le concept de la nostalgie des origines (mystical solidarity) qui viendrait justifier, dans le film (!), l’élan destructeur ne visant que les très hauts gratte-ciels afin de retourner l’homme à l’état archaïque. Est-ce que « His Voice » serait une construction mentale et collective générée par une expérience mystique au contact du fossile de l’ange, une invention au même titre que, selon Freud, celle de Dieu afin de maîtriser la peur de la mort? Vous suivez? Peu importe. À ce point, si vous avez aimez Ghost in the Shell 2 : Innocence (2004) de Oshii Mamoru, ces quelques passages obscurs ne vous rebuteront pas. Le problème étant qu’ils sont maladroitement intégrés dans le film, et dans une seule scène. Ce qui laisse le spectateur avec plus de questions que de réponses en conclusion, particulièrement après la scène finale plutôt cryptique et sibylline.
On retrouvera toutefois quelques éléments empruntés au cycle « Black Ghost » venant du manga, même si le récit de Re: Cyborg semble se dérouler plusieurs années plus tard. De là la confusion à savoir s’il s’agit d’une tentative d’adaptation, de reboot, ou simplement d’une continuité en faisant quelques clins d’œil aux manga. La qualité d’ensemble de la production, la musique de Kawai et la curiosité suscitée par l’intrigue rendent toutefois l’expérience du visionnement agréable. L’amateur d’anime s’en délectera et reconnaitra les nombreuses références. À savoir s’il voudra l’ajouter à sa collection, ça, c’est une autre histoire.