Au Japon, l’horreur est issue d’une longue tradition culturelle et artistique. Elle a également une longue histoire dans le cinéma japonais, avec l’existence de deux âges d’or: le premier durant la période du cinéma classique japonais, principalement au début des années 1960, avec l’implémentation de la figure du fantôme (yûrei) inspiré du théâtre traditionnel japonais, en particulier le kabuki; le second âge débute avec le succès mondial de Ringu (1998) de Hideo Nakata qui lance le courant de la J-Horror, en remettant au goût du jour la figure du fantôme vengeur (onryô), mais qui cette fois-ci s’immisçe à travers les nouvelles technologies, de la vidéocassette (Ringu) au téléphone portable ou keitai (One Missed Call de Takashi Miike), en passant par les réseaux informatiques (Kairo de Kiyoshi Kurosawa).
Hideo Nakata, le précurseur de tout ce mouvement, était de retour cette année avec un film dans la même veine, The Complex, un retour aux sources en quelque sorte, mais qui s’est malheureusement avéré plutôt décevant. Malgré quelques moments prenants, le film n’est pas parvenu à nous convaincre de l’enjeu terrifiant qui s’y cachait. Bien entendu, il s’agissait d’un fantôme vengeur (un enfant, comme dans Ju-On/The Grudge de Takashi Shimizu), mais les motifs derrière son désir de vengeance furent loin d’être aussi captivants que ceux de Ringu ou Dark Water. Nakata prit même quelques distances face aux conventions du genre, en proposant une manière plutôt surprenante de combattre le fantôme, via l’exorcisme. Mêmes stupéfactions dans les scènes non convaincantes de combat avec le fantôme enfant, qui n’ont pas pu nous empêcher de penser à Chucky (d’ailleurs de retour lui aussi cette année)! Néanmoins, le film traite de thèmes sérieux tels que la culpabilité, la solitude et la perte d’êtres chers, mais dans un traitement qui manque clairement de subtilité.
Si, pour citer à nouveau Benjamin Thomas (voir la première partie), la J-Horror est une « science de l’horreur qui se base avant tout sur l’inquiétude au sens de trouble de l’insouciance, retour du regret, du remords et de l’anxiété » (p. 282), tel que l’a illustré The Complex, Lesson of the Evil de Takashi Miike aborde également le thème des troubles du passé, mais sans s’embarrasser outre mesure des sentiments affligeants du remord. Face à cette maladresse dans l’exploration psychologique de ses personnages, on comprend mal que le film ait pu rafler le second prix du public cette année. Connaissant toutefois les intérêts du public Fantasia, on ne peut pas être totalement surpris non plus. Cinéaste de la transgression par excellence, Miike nous livre encore une fois un film tordu, à l’intrigue tout de même bien ficelée, mais dont l’attention repose essentiellement dans la scène finale sanglante d’une grande violence (comme les aime le public à Fantasia quoi!) et un dénouement plutôt maladroit trainant en longueur. Nous avons déjà critiqué le film plus en détail ici.
Par contraste, Uzumasa Jacopetti de Moriro Miyamoto est un film moins gore que tout simplement bizarre, comme il y en a aussi toujours un à Fantasia chaque année. C’est un film tout aussi dérangeant, mais plus riche en symbolisme, qui s’intéresse aux instincts les plus primitifs de l’être humain — le sexe, la reproduction, la violence — dans une facture totalement détachée (on tue des humains comme on écrase les chenilles). Si le policier qui patrouille le quartier corrompu en a marre de sa lâcheté et de son incapacité à agir, la famille dysfonctionnelle au cœur du film semble plutôt vivre dans une totale « insouciance heureuse ». La comparaison entre les humains et les insectes (en l’occurrence ici la chenille) est on ne peut plus claire, nous rappelant certains films de Shohei Imamura (Insect Woman, The Pornographers) dans sa manière de privilégier un point de vue « entomologique ». Notons également l’originalité de la trame sonore, aliant le free jazz à l’électro-acoustique, le tout en parfait accord avec l’esthétique du film. Malgré ce regard froid, peut-être que la transformation des chenilles ramassées par le garçon en papillons annonce un semblant d’espoir dans ce monde nihiliste? Quoiqu’il en soit, ce réalisateur hors-norme de Kyoto, qui en est à son 3e long métrage, est à surveiller.
Finalement, New Neighbor, moyen métrage à très petit budget réalisé par Norman England, un Américain vivant au Japon, fut présenté en complément de programme à Garden of Words (les programmateurs de Fantasia n’auraient pas pu trouver une meilleure disparité!). C’est un film à la réalisation plutôt amateure, mais au symbolisme fort, à l’instar de Hello, My Dolly Girlfriend (voire la deuxième partie) dont les thèmes se complémentent. Alors que le film de Takashi Ishii s’intéresse aux fantasmes masculins (de l’otaku en particulier), ce film s’oriente plutôt sur le point du vue féminin, bien que le réalisateur n’ait pu s’empêcher de montrer certaines scènes (entre filles) relevant clairement de fantasmes masculins. Malgré tout, le film traite d’un thème rarement abordé dans le cinéma japonais, celui de la pudeur et de l’inhibition sexuelle chez les femmes japonaises; un refoulement qui, dans un festival de films de genre, ne peut que se libérer violemment.
À noter cette année l’absence des films de « splatstick » habituels, en l’occurrence les comédies gore de Tak Sakaguchi, Yūdai Yamaguchi ou Noboru Iguchi, bref ceux produits principalement par (feu?) Sushi Typhoon (et distribués maintenant par Well Go USA). Non pas que nous nous en sommes ennuyés pour autant, loin de là.
En bref, tel que nous l’a exemplifié les films japonais projetés à Fantasia cette année, le cinéma nippon d’aujourd’hui demeure sans aucun doute traversé par l’angoisse d’une crise identitaire, qu’il tente d’exorciser, comme l’énonce Benjamin Thomas, « à travers des motifs formels ou diégétiques déclinant le thème du dédoublement, du clivage, de la fragmentation identitaire » (p. 283). La manière de ce cinéma d’explorer de « nouvelles identités » ne se fait certainement pas sans « une certaine tension mêlant parfois réaction et transgression » (p. 283). Il ne fait aucun doute que le cinéma japonais contemporain multiplie, en douceur ou en fracas, « les remises en cause des identités socio-sexuelles établies ou des cercles figés et hermétiques de la société » (p. 283), mais tout en conservant un lien évident (et peut-être même un espoir?) avec les structures et conceptions sociales qui font encore du Japon le pays singulier qu’il se plait à être.
La quatrième et dernière partie aborde brièvement quelques films chinois et coréens présentés à Fantasia.