Projeté dimanche dernier le 28 juillet, le programme Fragments d’Asie nous offrait six courts métrages provenant du Japon, de la Corée du Sud et de Singapore. Trois d’entre eux provenaient du Japon et mériteront notre attention dans cette courte critique.
Combustible est écrit et réalisé par Katsuhiro Otomo, celui qui nous a offert la série de manga et le célèbre film Akira (1988) qui contribua, avec Ghost in the Shell (Oshii, 1995), à faire connaître davantage l’anime plus adulte à l’auditoire nord-américain. Il réalisa également un segment de Memories (1995) et le film Steamboy (2004). Combustible (Hi No Yoojin) est tiré d’un court manga créé par Otomo lui-même publié en 1994, et fut sélectionné aux Oscars dans la courte liste menant vers la sélection officielle des meilleurs courts métrages d’animation en 2013. Le récit est simple, même un peu trop, mais se laisse regarder avec curiosité et fascination, à cause, d’une part, de la volonté évidente de respecter l’esthétique des emaki (ou emakimono, peintures sur rouleaux), et cela, en gardant des bandes en haut et en bas, nous rappellant constamment notre posture de spectateur, et, d’autre part, à cause de la musique traditionnelle (gagaku et taiko) nous conviant dans un certain état de contemplation.
Se déroulant à l’époque Edo, un jeune rebelle, Matsukitchi, décide de s’enrôler comme pompier contre l’avis de ses parents, alors que son amie d’enfance, la belle Owaka, est torturée par les mœurs de l’époque, qui l’obligent à marier un homme dont elle n’est pas amoureuse. Son chagrin enflammera accidentellement une partie de la ville, réunissant de manière tragique nos deux jeunes protagonistes. Le récit nous introduit lentement dans l’univers avec de longs plans, sans coupes ni recadrages. D’abord avec un plan large sur la ville, l’image glisse doucement vers la droite nous donnant l’impression d’un panoramique vers la gauche, puis à l’aide de subtiles transitions visuelles sans coupes Otomo nous entraîne dans la vie rurale, jusqu’à s’arrêter dans une court où nos deux amis d’enfance, encore enfants, s’amusent joyeusement. C’est alors que le montage traditionnel à l’aide d’échelles de plans variées vient appuyer le récit. On pourrait reprocher à Otomo son manque d’originalité. Toutefois, Combustible n’est pas un exercice psychologique sur les amours perdus, mais un exercice de style esthétique avant tout. Ici, les techniques d’animation modernes sont mises au service d’une histoire traditionnelle qui rend un hommage bien senti à l’ancêtre de l’animation telle qu’on la connaît actuellement. (bande-annonce – bas de la page)
Possessions, de Shurei Morita, utilise la même technique du cel-shading utilisée précédemment par le même réalisateur dans Kakurenbo : Hide and Seek (2004). Toutefois, contrairement à Appleseed (2004) de Shinji Aramaki, l’esthétique du cel-shading est subtile et sert davantage celle de la 2D, c’est-à-dire l’esthétique traditionnelle de l’image dessinée à la main. L’histoire est également simple, et ne vient bouleverser aucune idée préconçue du Japon traditionnel naturaliste. Un voyageur égaré dans une forêt est surpris par une forte averse et trouve refuge dans un petit sanctuaire. C’est alors qu’il est absorbé par une force fantomatique, par laquelle il sera emprisonné pour la nuit. Sans jamais toutefois se sentir agressé, il fera la rencontre d’oni et de yokai (démons du folklore japonais) qu’il aidera curieusement à sa manière. Le film ne propose rien de révolutionnaire et reste convenu dans la forme. Pour vous initier au folklore japonais à travers l’animation, je vous suggère cependant de vous en remettre à la série Mushishi (2005) – dont le film live-action fut adapté par Katsuhiro Otomo! – Ayakashi : Samurai Horror Tales (2006) ou encore aux films de Miyazaki tels que Spirited Away (2001) ou Princess Mononoke (1997).
Enfin, il y a Kick-Heart, du talentueux réalisateur Masaaki Yuasa derrière Mind Games (2004) primé par ailleurs à Fantasia, et de la série Kaiba (2008), un récit cyberpunk à l’esthétique peu conventionnel. Comme dans ses précédentes œuvres, Yuasa préconise un style déluré et coloré, dans lequel le « coup de crayon » n’a pas peur de se montrer, avec en plus le génie de ne jamais nous désintéresser de l’histoire qu’il raconte. Maskman M est un lutteur professionnel qui aide un orphelinat tenu par des religieux, et qui n’a d’yeux que pour Lady S, son opposante sexy dans l’arène. Il obtiendra finalement ce qu’il désire, un combat seul à seul avec elle, devant public. Elle frappera, comme l’indique le titre, directement son cœur. Le film est une production indépendante qui bénéficia d’une aide financière à travers le site Kickstarter, et qui fut parrainée par nul autre que Production I.G. Le style est franc, le montage rapide, mais surtout Yuasa nous rappelle qu’avec l’animation il n’y a pas de limite. Malgré son penchant vers l’expérimental et les formes dessinées brutes, qui semble faire un pied de nez aux nouvelles technologies préconisées dans l’industrie, Yuasa garde l’intérêt du spectateur par le comique et la caricature grossière de certaines situations. Le côté foncièrement organique qui se dégage de l’esthétique de ce film est rafraichissant. Yuasa est également derrière un segment de Genius Party (2008) projeté à Fantasia en 2008. Un réalisateur à suivre.