Makoto Shinkai est un magicien de la lumière, et la sculpte comme s’il en était le créateur. Sa signature se voit dans les menus détails, dans les reflets et les transparences minutieusement dessinés, et cela, mis au service d’un récit sobre et humaniste. Il faut regarder le travail de ce réalisateur, comme on lit un poème où chaque mot a son importance: la collision des gouttes de pluie à la surface de l’eau, avec le reflet ondulant des arbres à l’arrière-plan; la lumière grisâtre d’un jour nuageux qui réfléchit sur la surface d’un pont de bois trempé, et le soin apporté à la courte profondeur de champ limitant ce qui est au foyer; les rayons de soleil perçant le ciel nué d’une lumière rosée; les phares clignotants rougeâtres haut perchés dans les gratte-ciels; les pillow-shots à la Ozu nous décentrant des personnages principaux, ajoutant à l’ambiance; le paysage urbain typiquement japonais et fidèle à la réalité (le parc Shinjuku Gyoen où se situe une partie du film existe réellement). Le film de Shinkai est court, 46 minutes, mais chargé sur le plan symbolique, sans jamais tomber dans la facilité narrative. Là où d’autres auraient été, Shinkai se retient.
Takao est un jeune étudiant de 15 ans qui se passionne pour la conception de chaussures, au point qu’il veut en faire un métier. Il décide une journée de pluie de faire l’école buissonnière et va au parc afin de dessiner une nouvelle paire de souliers. Il y fait la rencontre de Yukari, une jeune femme bien habillée et distinguée, qui boit à même une canette de bière. Elle semble préoccupée. Alors que tout se passe presque en silence durant la première rencontre, la jeune femme quitte en lui récitant tranquillement quelques mots: un tanka (court poème en japonais), qui pique la curiosité de Takao. Les deux individus se revoient au même endroit périodiquement, chaque jour d’averse, et développent l’un pour l’autre et au fil des rencontres une relation d’un amour spirituel. Le récit est paisible, agréable à suivre et surtout hypnotisant à regarder.
La quête de Takao viendra, en quelque sorte, répondre à celle de Yukari. L’image du soulier y jouant un grand rôle, servant de métaphore pour illustrer la vie et la résilience. On n’en attendait pas moins de Shinkai, qui nous avait charmé avec ses précédentes œuvres comme The Place Promised in Our Early Days, 5 Centimeters Per Seconde et Children Who Chase Lost Voices. Le jeune réalisateur occupe souvent plusieurs chapeaux, excepté pour Children, pour lequel il occupa seulement(!) les postes de réalisateur, scénariste et producteur. Pour Garden of Words, Shinkai reprend le contrôle de certains autres postes artistiques clés comme la photographie, le montage et la coloration; ce qu’on remarque aisément par la grande sensibilité apportée aux mêmes détails que l’on retrouvait dans ses premiers films. On pourrait toutefois lui reprocher d’avoir versé abruptement dans le pathos là où on ne s’y attendait pas. La retenue de Shinkai tout au long du récit, faut croire, devait peut-être servir ce moment de révélation chez les personnages, mais c’est l’inverse qui se produit pour le spectateur (occidental devrais-je ajouter) et brise un état de calme qui faisait du bien à l’âme. Heureusement, la finale qui suit, le générique ainsi qu’un retour avec le personnage principal nous permettent d’absorber le choc, en gardant un bon souvenir de ce voyage poétique.