Fantasia 2014 – Mamoru Oshii et Ghost in the Shell

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Le réalisateur Mamoru Oshii s’est vu remettre hier un prix honorifique pour l’ensemble de son oeuvre, juste avant la projection d’une toute nouvelle copie haute définition du classique cyberpunk Ghost in the Shell, tirée de la version originale de 1995. Il ne s’agissait donc pas de « l’abominable » version 2.0 sortie il y a quelques années, dans laquelle nous pouvions voir une nouvelle séquence d’ouverture en animation numérique, ainsi que le Major Motoko en images de synthèse! Les fans furent soulagés. Le réalisateur reçu cette reconnaissance en toute humilité et gracia même les fans en leur présentant une bande-annonce, montée expressément pour l’occasion, de son plus récent film Garm Wars, une production canado-japonaise qui devrait sortir en 2015. Le maître fut généreux de son temps, et en détail, répondant aux questions de l’auditoire. Avec le sens de l’humour qu’on lui connaît, il aborda sa relation avec Masamune Shirow, l’auteur du manga original Ghost in the Shell, qui fut cordiale… bien qu’ils ne se soient vus qu’une seule fois! On apprit également que Oshii devait réaliser le film 009 Re Cyborg, mais qu’il abandonna le projet à cause d’une mésentente avec les producteurs. C’est donc son protégé Kenji Kamiyama (GitS: Stand Alone Complex, Eden of the East) qui en assura la réalisation. Avec humour, il ajouta qu’il put s’enfuir du projet, contrairement à Kamiyama, à qui il regretta de ne pas avoir appris l’art de la fuite.

Dans le panthéon des classiques de science-fiction, il y a, entre autres, Metropolis, 2001: A  Space Odyssey, Blade RunnerAlienStar Wars, The Matrix… À cette liste s’ajoute Ghost in the Shell (1995), une influence ouvertement reconnue derrière le film des frères (à l’époque) Wachowski. Le web regorge de sites et de vidéos amateurs s’affairant à décortiquer les similitudes.

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Or, l’oeuvre de Mamoru Oshii ne se limite pas qu’à Ghost in the Shell, fort heureusement. Bien que sa filmographie soit inégale, mentionnons à titre d’exemple le très moyen film tourné en action réelle Assault Girls (2009), sa vision d’auteur transparait dans tous ses films. Le sous-estimé The Sky Crawlers (2008) en est un bon exemple, dans lequel un jeune pilote d’avion de chasse s’engage dans une guerre gérée comme une entreprise, lors de laquelle les corporations du monde se font la bataille. Mais c’est la quête identitaire du jeune héros qui ponctue le récit, et sa potentielle existence antérieure (en tant que clone?) qui perturbe le groupe auquel il se joint, qui rappellent les thèmes chers à Oshii (ceux de l’identité, de la mémoire, des rapports entre l’homme et les technologies et ce qui caractérise la conscience humaine comme entité distincte). Dans GitS, Major Kusanagi vit la même ambivalence quant à sa propre identité, qu’elle exprime éloquemment lors du fameux quasi-monologue en compagnie de son collègue Batou, et cela, après une plongée sous-marine risquée. Lors de la célèbre scène lyrique qui suit, bercée par la musique de Kenji Kawai, et lors de laquelle nous suivons Kusanagi à travers les canaux de navigation de la ville, on voit sa copie cyborg (une autre Shell) vivant une vie de citadine, assise dans un restaurant.

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Dans les débuts de sa carrière, Oshii réalise sa première oeuvre de science-fiction, Dallos (1983), reconnue pour être la première OVA (orignal video anime) au Japon. Et en 1985, il réalise un film plutôt obscur et très méconnu en Occident, Angel’s Egg, réalisé en collaboration avec l’illustrateur Yoshitaka Amano. Il s’agit de son film le plus personnel et le plus abstrait, un voyage dans un imaginaire surréaliste très proche de Dali, lors duquel on y retrouve, entre autres, des poissons géants nageant en silhouette sur les façades de bâtiments en ruines. Même au Japon, ce film est très méconnu. Il faut se laisser porter par les images, l’ambiance lyrique et magnifiquement glauque, immersif et hypnotisant, sans espérer un récit classique cartésien. En fait, il n’y en a pratiquement aucun. Puis, il y a Patlabor (1989) et II (1993), classés dans le genre mécha, mais penchant davantage vers le réalisme, le genre Real Robot, plutôt que vers le genre Super Robot (Mazinger Z, Grendizer). Ces films consacra officiellement la carrière de Oshii comme réalisateur de renom, en insufflant un vent de renouveau à la franchise, y proposant même un commentaire social et politique sur le rôle du Japon dans l’ère post WWII. Or, durant la même période, Oshii réalisa aussi trois films tournés en action réelle, The Red Spectacle (1987), Stray Dogs (1991) et Talking Head (1992) dans lesquels on met en scène le mythique costume de soldats futuristes panzer corps  que l’on retrouve également dans le long métrage Jin-Roh: The Wolf Brigade (1999), créé et scénarisé par Oshii. Projeté à Cannes dans la section hors compétition, Avalon (2001), une coproduction Pologne-Japon tournée en prise de vue réelle, et bien connue des fans du maître, questionne notre rapport à la réalité à travers les yeux de Ash, une joueuse vedette qui gagne sa vie dans le jeu de guerre virtuel et illégal Avalon. Également projeté à Cannes, dans la section compétitive cette fois, Ghost in the Shell: Innocence (2004), une suite à son classique de 95, qui marie dessins 2d et images de synthèse avec un brio encore inégalé à ce jour. Les rapports homme-machine, et homme-poupée (à travers l’intrigue qui implique des sex-doll), y sont abordés et Oshii ne lésinent pas sur les citations, citant Descartes, Freud, Platon, allant même jusqu’à nommer un personnage Haraway, en référence directe à la professeure Donna Haraway connue pour son essai A Cyborg Manifesto (1991). De quoi régaler les geeks téméraires avides de jeu de piste philosophique.

Ce qui fait surtout la force, sur le plan esthétique, des films de Oshii c’est sa tendance et surtout son habileté à bien intégrer les techniques esthétiques venant du cinéma en tournage réel. Oshii était par ailleurs un cinéphile averti durant ses études, un amateur de cinéma européen, qui a appris en regardant les films de Tarkovsky et de Bergman. Notez la comparaison flagrante ci-bas entre une image tirée de Angel’s Egg et une autre de Solaris (1972).

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Angel’s Egg et Solaris

Oshii ne se gêne pas non plus pour laisser durer ses plans, forçant le spectateur à observer ce qu’il voit, un peu plus longtemps que nécessaire selon les standards narratifs classiques du film d’animation, transformant le plan en un traditionnel pillow shot à la Ozu.

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Également dans Ghost in the Shell, Oshii fait un usage d’effets cinématographiques que l’on voyait peu dans les films d’animation à l’époque:

distorsion de lentille,

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Plan en point de vue subjectif (POV shot),

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montage rapide maintenant typique dans les films d’action (répétition de plans),

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l’usage de la profondeur de champ,

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de ralentis

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Aussi, Oshii eut recours aux technologies numériques, particulièrement pour les effets liés au camouflage optique du Major et les images de type HUD que l’on voit par exemple lors de l’immersion virtuelle du personnage dans le réseau Web.

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En plus de sa touche d’auteur qui sait susciter des réflexions sur la nature humaine, toutes ces techniques étaient à l’époque innovatrices et ont fait de Ghost in the Shell le classique qu’il est aujourd’hui. Oshii poussa le mariage entre animation celluloïd et image de synthèse de plusieurs crans dans la suite Innocence. La copie projetée hier dans la salle D.B. Clarke était impeccable. On ne pouvait espérer mieux cette année pour débuter cette 17ème édition du festival, qui promet de nous réserver quelques surprises.