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Plusieurs membres de Kinephanos étaient présents le 27 juillet 2014 au> Festival international de Films Fantasia de Montréal, où nous avions droit à la première internationale du film Angry Video Game Nerd: The Movie. La salle était remplie de gens passionnés.
La file à l’extérieur du bâtiment s’étendait sur une distance inquiétante. À l’intérieur, la Directrice des Opérations de Fantasia Marie-Jade Lemonde avait préparé un espace de jeu avec un projecteur, des télévisions et des consoles d’époque. On a pu voir (et essayer!) E.T. the Extra-Terrestrial (1982) de Howard Scott Warshaw et Angry Video Game (2010) d’Eric Ruth. C’était une belle touche et j’étais – enfin, nous étions tous – excités de voir le film en projection ici, à la Mecque culturelle du jeu vidéo qu’est devenue Montréal. Ce moment m’est apparu très spécial, comme si, l’espace d’une soirée, l’univers ne faisait pas que se contenter d’être là et de tenir les choses ensemble, mais travaillait activement à bien faire les choses. Mesdames et messieurs, préparez votre signal de flashback préféré…
« I’m gonna take you back to my past… »
J’ai découvert le Angry Nintendo Nerd en 2006, en visitant le site screwattack.com qui se trouvait à faire la promotion d’une certaine vidéo. C’était un jeune nerd qui ventilait ses frustrations sur l’un des quelques jeux de NES que j’avais à la maison étant enfant, auquel j’avais joué pendant des années sans pourtant jamais réussir à le terminer : Teenage Mutant Ninja Turtles. Ce jeu frustrant était critiqué avec une précision chirurgicale. Ce nerd passait d’un moment ridiculement difficile à un autre, dévoilant mes souvenirs un à un, et mettait des mots sur ces sentiments primordiaux que j’avais gardé enfouis si longtemps en moi. De la catharsis du joueur à l’hybris du concepteur, tout y était.
Il avait trouvé un riche filon de mémoires collectives dans lequel il piochait avec une perspicacité aigue, un montage adroit, et évidemment, une propension à la vulgarité. Ce fut là mon Moment Nerd Primordial. J’étais loin de me douter que le personnage attachant de James Rolfe deviendrait ce qu’il est aujourd’hui – avec 119 épisodes derrière lui à ce jour, il est un signifiant culturel, un porte-parole pour nos souvenirs d’enfance partagés, et un atout à l’enseignement universitaire. Oui, j’ai mis des vidéos du Angry Video Game Nerd (AVGN) au programme dans mon cours d’histoire et d’esthétique du jeu vidéo. (C’est l’avantage d’enseigner dans une autre langue que l’anglais : personne n’est sérieusement offusqué par sa vulgarité!)
Naturellement, quand Rolfe a annoncé qu’il travaillait sur un long métrage du AVGN, j’étais aux anges. J’ai contribué 50$ au sociofinancement sur Indiegogo.com, principalement parce que je voulais encourager James dans son projet de cinéaste, puisqu’il m’avait donné, sans que j’aie à débourser un sou, des dizaines d’heures de divertissement à travers les années. Ça me semblait être une aubaine. Il était également talentueux, comme j’avais pu le constater en regardant ses court métrages d’horreur, ses critiques de films, et ses séries Board James et You Know What’s Bullshit? En plus, enseignant la scénarisation, je voulais évidemment une copie du scénario, ce qui était la récompense pour une contribution de 50$. Cela me semblait être une bonne affaire. Selon la ligne du temps du AVGN Movie, le projet a été conceptualisé par les co-réalisateurs et co-scénaristes James Rolfe et Kevin Finn en 2006, le scénario a été terminé en 2008, suivi par environ 2 ans de réécritures jusqu’en décembre 2010. À mon avis, c’est là qu’on peut imputer la plupart des problèmes du film.
« …to…watch a shitty movie that sucks ass? »
Soyons clair : ce film n’est pas un « film de merde ». Je n’emploie pas ce titre uniquement pour m’attirer des clics : je pense que le film a des problèmes assez sérieux, et je conçois que certains puissent y réagir dans ces termes (peu ou prou). AVGN: The Movie est un film amusant et léger, mais pas un grand ou un excellent film. Et pourtant, le film passe constamment de l’un à l’autre, ne sachant pas trop sur quel pied danser, ce qui fait qu’on ne sait jamais trop comment le prendre. Il présente des répliques comiques et efficaces, puis nous offre une morale spirituelle-sentimentale lourde. C’est un film très ambitieux avec des moyens insuffisants pour remplir ces folles attentes, mais il ne semble pas en être conscient dans son élan vers l’épique mal dirigé – comme s’il fallait montrer une poursuite de voitures et une explosion, coûte que coûte, et que cette fin essentielle justifiait les moyens inefficaces pris pour y arriver.
Mais une poursuite de voitures qui nous présente en alternance des reaction shots de comédiens filmés dans une camionnette et une petite voiture poussée par-dessus un tas de sable n’offre que peu d’intérêt quand le résultat final ressemble davantage à un montage disjoint de deux scènes qui se déroulent en parallèle. Idéalement, un film avec de grandes ambitions mais réalisé avec de modestes moyens devrait savoir quand il peut s’afficher avec grandiloquence, et quand il doit recourir à un humour auto-dérisoire de 2e degré puisqu’il est absolument impossible de livrer la marchandise et provoquer l’effet escompté. AVGN: The Movie a tous les ingrédients pour faire cela (et il le fait à quelques reprises), mais la plupart du temps il fonce tout droit sans s’en préoccuper. Pourquoi?
De Jekyll & Hyde à The Nerd & Rolfe?
D’entrée de jeu, je demanderais aux fans de Rolfe (j’en suis!) de rester calmes : je ne veux pas dire par ce titre qu’il est une figure noire et maléfique qui se cache sous l’apparence sympathique du Nerd. James Rolfe m’apparaît comme un cinéaste de talent qui a prouvé sa maîtrise de l’horreur et de la comédie. Mais il me semble que le film souffre d’un conflit entre les ambitions de cinéaste de Rolfe et les origines et la formule du Nerd.
AVGN : The Movie commence en se concentrant sur le Nerd, son persona, son et son influence, et touche à plusieurs aspects intéressants du fandom, de la célébrité internet, de la récupération de la culture underground par les corporations, et de la réalité paradoxale derrière le fait de critiquer et de jouer à de mauvais jeux. (Pas de spoilers!) Quand le film s’en tient là, Rolfe nous offre, comme il le fait dans ses critiques, des positions intelligentes et des regards éclairants sur les jeux eux-mêmes, mais aussi sur leur sens plus large et les significations qu’ils acquièrent dans la « culture gamer » et dans l’histoire du jeu vidéo. C’est le genre de films qu’on peut réaliser avec peu de moyens de manière très convaincante, en se basant sur des scènes et des plateaux issus du quotidien, sur le dialogue, sur le développement des personnages, etc. Quelques exemples de ce genre de traitement, que James a réalisé de manière très convaincante dans le passé (avec, toutefois, un attachement beaucoup plus fort à la comédie que ce à quoi l’on a droit dans le film), peuvent être vus dans l’épisode 55 (Battletoads) et dans le montage d’entraînement ninja dans l’épisode 87 (Ninja Gaiden).
Le film prend un virage progressif vers le film d’action et tente fortement de se présenter de manière sérieuse (ou à tout le moins, semi-sérieuse). Si vous avez beaucoup aimé le genre de choses qui arrive dans l’épisode 46 (Super Mario Bros. 3), vous pourriez y trouver votre compte. Mais à mon avis, ce qui peut fonctionner assez bien pour quelques minutes ici et là dans une vidéo courte que les gens regardent de manière privée sur l’internet ne se transpose pas bien dans un long métrage montré en salle, en public. Et là encore, je doute un jour regarder le film en Blu-Ray à la maison sans me perdre dans mes pensées ou prendre une pause-pipi pendant certaines des « scènes d’action à budget ». Je me suis surpris à penser à autre chose et à perdre ma concentration pendant plusieurs secondes de scènes d’action à quelques reprises pendant le film, en étant pourtant dans une salle pleine à craquer et qui réagissait au film au quart de tour. Le montage serré et efficace, l’une des forces traditionnelles de Rolfe, se perd ici à travers un grand nombre de scènes de diversion et de reaction shots inutiles.
D’autres Kinéphanautes étaient prompts à décider que le film, qui fait 115 minutes, avait un bon 20 minutes de trop. C’est un jugement assez dur, et je ne suis pas convaincu que ce soit à ce point-là, mais d’un autre côté je ne suis pas prêt à dire que ce n’est pas le cas non plus. Ce qui est certain, c’est que le film contient beaucoup trop de lieux, de personnages, de figurants, et d’effets visuels – au point où des conventions cinématographiques de base sont évitées de manière chaotique, et des prétextes narratifs sont balancés à gauche et à droite sans trop de considération, ce qui résulte en un film beaucoup plus dense et confus qu’il ne devrait être.
On a au final très peu du jeu de comédien candide de James, de ses rires, ses surprises, et ses frustrations exagérées et contagieuses; le Nerd que l’on voit dans le film semble rigide, trop sérieux, et pas aussi sympathique que celui qu’on a connu à travers les années. Ce qui me mène à conclure cette critique avec une question…
Le Nerd est-il vraiment un bon sujet pour un long métrage?
Quand Rolfe a annoncé qu’il travaillait sur un long métrage du AVGN, j’étais aux anges. Maintenant que j’ai vu le film, je me pose cette question : était-ce vraiment une bonne idée? Ce n’est pas tout le monde chez Kinephanos qui était un fan du Nerd comme moi. Après avoir vu le film, je doute qu’ils aient envie d’aller découvrir le catalogue passé du Nerd et ses excellentes critiques de jeux. Pour moi, le film a révélé à quel point le Nerd est mal adapté aux nécessités imposées par le format du long métrage narratif traditionnel. Le Nerd est un loup solitaire (« antisocial » est prononcé dans le film), au point où sa série porte son nom. À l’occasion, un invité vient perturber les ténèbres de sa tanière; la plupart du temps, il erre comme une âme en peine parmi les jeux maudits qui peuplent son repaire, une crypte technologique où les fantômes du passé sont bannis par sa profanité. Ces invités y entrent pour un temps puis font leurs adieux. Le Nerd n’interagit pas avec la société – ou à tout le moins, on ne le voit pas faire. Il joue à des jeux et s’en plaint. Il crache des répliques aussi comiques que haineuses et Rolfe place des petits blagues ici et là, en nombre suffisant pour faire prendre la sauce. Et il le fait extrêmement bien. Quand le Nerd sort de son sous-sol et se lance dans une quête narrative avec d’autres gens, rien ne va plus.
Le Nerd n’est peut-être pas le bon véhicule pour les ambitions cinématographiques de Rolfe. En définitive, je reste intéressé à voir les futures créations de Rolfe, qu’il s’agisse de courts ou de longs métrages (mais ce dernier cas implique une attente de quelques années au moins), mais j’y suis intéressé malgré le film AVGN, pas grâce à lui. Ce qui m’intéresse le plus, c’est d’avoir des épisodes du Nerd – davantage que d’avoir un deuxième film du Nerd. (Dans la période de questions après la projection, le co-réalisateur et co-scénariste Kevin Finn a confirmé que si James et lui avaient une opportunité de travailler sur un long métrage bientôt, ce ne serait probablement pas sur un film du Nerd, alors ce sont des bonnes nouvelles – pour moi en tout cas). Et je n’ai aucun intérêt à revoir ce film à quelque moment que ce soit dans l’avenir. Ce film a été une expérience divertissante mais qui m’a ramené sur terre, plutôt qu’une expérience enivrante qui me transporte, comme c’est souvent le cas avec les vidéos du Nerd.
Paradoxalement, un court métrage présenté avant le film a frappé plus près de la cible. Chaque année, le festival Fantasia donne un mandat à un réalisateur de réaliser un court film basé sur la sélection de films au programme cette année-là. Cette année Jules Saulnier, qui était présent, nous a expliqué qu’il avait choisi le film du Angry Video Game Nerd aussitôt qu’il l’a vu sur la liste, puisqu’il était un fan et qu’il voulait réaliser un peu son propre épisode du AVGN comme hommage à l’œuvre de Rolfe. Le court métrage de 8 minutes qui en a résulté (où l’on voit incidemment Alexandra Cyr, que l’on avait déjà remarqué au festival Fantasia de l’an dernier) a reçu un accueil triomphal, le public éclatant de rire à de multiples reprises. Je recommande vivement un visionnement.
Salut, Nerd. J’espère te revoir bientôt. Je suis toujours un fan – juste pas un fan de ton film.
…et j’aimerais conclure avec un rappel. J’ai apprécié le film. Je crois qu’on peut l’apprécier pour certaines raisons, dans certaines conditions. Cette critique est dure, oui, mais ce n’est que ça: une critique. James Rolfe a tout donné pour réaliser son film, et ce courage et cette détermination doivent être félicités et salués. En bout de ligne, je souscris toujours malgré tout au discours de Theodore Roosevelt the Man in the Arena (je suis tombé sur quelques traductions en ligne qui m’ont semblé si moches que je préfère ne pas me risquer à traduire):
It is not the critic who counts; not the man who points out how the strong man stumbles, or where the doer of deeds could have done them better. The credit belongs to the man who is actually in the arena, whose face is marred by dust and sweat and blood; who strives valiantly; who errs, who comes short again and again, because there is no effort without error and shortcoming; but who does actually strive to do the deeds; who knows great enthusiasms, the great devotions; who spends himself in a worthy cause; who at the best knows in the end the triumph of high achievement, and who at the worst, if he fails, at least fails while daring greatly, so that his place shall never be with those cold and timid souls who neither know victory nor defeat.