Critique – It Follows de David Robert Mitchell

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It Follows, film d’horreur indépendant tourné à Detroit, a tout d’abord reçu un accueil enthousiaste lors de l’édition 2014 du Festival de Cannes avant de prendre l’affiche sur nos écrans en mars dernier. L’histoire racontée est celle de Jay, une adolescente américaine de classe moyenne qui, après avoir fait l’amour avec un garçon, découvre qu’elle est poursuivie par une mystérieuse entité, visible d’elle seule, qui prend la forme de diverses personnes, entité qui se contente de marcher inéluctablement vers elle. Le garçon l’a prévenu: c’était lui que l’entité poursuivait avant, et si Jay veut s’en débarrasser, elle doit la « passer » en faisant l’amour à quelqu’un d’autre, sans quoi l’entité la tuera et retournera chasser son ancien « propriétaire ».

Ce rappel de l’intrigue d’It Follows nous apparaissait indispensable pour que les considérations développées dans le reste de cette critique soient compréhensibles. En effet, les interprétations avancées par certains (métaphore des MTS, référence au Ça freudien) nous semblent à la fois trop simples et trop compliquées pour réellement saisir l’intérêt que présente le film: en définitive, cette entité qui poursuit la jeune Jay, ce spectre muet animé d’intentions sanguinaires, ne représente rien d’autre que la mort, tout simplement. Mais une mort telle qu’on peut la concevoir dans une société occidentale contemporaine, cette société atomisée où chacun se voit inviter à lutter pour sa propre survie, en n’ayant d’autre choix que de sacrifier celle des autres (le seul moyen de se débarrasser de l’entité meurtrière consistant à la « passer » à quelqu’un d’autre). Une lutte qui, du reste, est dérisoire, la mort étant de toute façon inéluctable pour tous (une fois sa victime morte, l’entité retourne chasser son ancienne proie). Le tissu social est mort, l’individu est seul avec l’épée de Damoclès qui le surplombe, les autres étant incapables de voir (au sens littéral) le mal qui le ronge. La mort à l’heure du néolibéralisme, en somme. Même les liens les plus intimes pouvant unir deux personnes, ceux de l’amour et du sexe, s’en trouvent irrémédiablement corrompus, puisqu’ils amènent à la transmission d’un mal incurable. Marx n’avait-il pas identifié le Capital comme le grand corrupteur de ce qui autrefois était sacré? Ces considérations viennent jeter un éclairage nouveau sur le choix de Detroit en tant que lieu de tournage, cette ville étant le symbole par excellence de la faillite du capitalisme américain. Le film ne se prive d’ailleurs pas de situer certaines scènes dans les quartiers abandonnés de la ville, au cœur même du désastre.

Mais cette analyse sommaire ne nous donne pas toute la mesure de ce qui fait qu’It Follows est un grand film d’horreur. Loin de se contenter d’être une critique en filigrane de la dégradation de la société américaine (ce que, du reste, beaucoup de classiques du cinéma horrifique ont été, de Texas Chainsaw Massacre (Tobe Hooper, 1974) à Dawn of the Dead (George A. Romero, 1978), le film frappe par le sentiment d’intemporalité qui le traverse. L’actualité de son sujet et de ses situations (Detroit en ruines, sexualité adolescente libérée et assumée, omniprésence à l’écran des cellulaires) entre en contradiction avec certains éléments stylistiques du film, notamment la musique, signée Rich Vreeland, qui est un hommage assumé aux bandes sonores des classiques de John Carpenter et du cinéma de genre italien de la grande période (Argento, Bava, etc.). La mise en scène de David Robert Mitchell est aussi un élément déterminant de l’efficacité redoutable du film. Privilégiant les plans larges, Mitchell prend un plaisir diabolique à exploiter la profondeur de champ pour tenir le spectateur en alerte, ce dernier étant constamment angoissé par ce qui pourrait apparaitre au loin. Les mouvements de caméra, dont certains sont de véritables tours de force, participent également à ce sentiment d’angoisse en immergeant le spectateur dans l’espace que les personnages arpentent.

Ce sont tous ces éléments qui contribuent à faire de It Follows l’un des films d’horreur les plus prenants et les plus fascinants des dernières années.