Sans tomber dans les travers lubriques typiquement nippons, et livré avec une charmante pudeur, le réalisateur Daigo Matsui nous entraîne dans le monde de Shiori, adepte du style Lolita gothique quelque peu imbue d’elle-même et l’hôtesse d’un blogue vidéo dans lequel elle livre ses états d’âme. Elle veut devenir actrice. Or, entre les offres de contrats moralement discutables d’un gérant sans scrupules et la pression de certains fans qui lui demandent de se déshabiller en direct, qu’elle refuse à chaque fois avec candeur, les illusions s’estompent doucement. Elle fait la rencontre d’Ayumi, une fan de 13 ans timide et en fugue. Une enfant introvertie qui visiblement cherche à plaire à son idole du web, Ayumi se faufile sans malice dans la vie de Shiori et de son copain. Wonderful World End est une étude de personnage qui brosse toutefois un tableau peu optimiste sur les aspirations des jeunes japonais, littéralement en mode survie dans un Japon qui plie sous les courbettes. Toujours en quête d’un sens animé par la pression sociale de la performance [particulièrement au Japon], et qui cherche constamment à plaire au regard de l’autre en cette ère du 2.0, Shiori se sent en compétition avec la pureté que dégage Ayumi. Pour suivre les traces de son idole, cette dernière ouvre son propre blogue, sur lequel elle partage son amour pour une amie à l’allure Lolita gothique. Shiori comprend très vite être le sujet de cette admiration, qu’elle reçoit non sans une certaine fierté. Mais jamais de rivalité malsaine ne s’installe entre elles, alors que nos deux protagonistes se retrouvent main dans la main, complices, gambadant dans un centre commercial à la recherche d’expériences communes, de sentiments et d’affinités qu’elles se reconnaissent entre elles, et partagés à coup d’émoticônes (emojis) en surimpression à l’écran. Le tout livré au rythme de la musique j-pop de l’artiste très populaire chez les adolescents, Seiiko Oomori, dont les chansons servirent d’inspiration pour le film.
Le réalisateur Matsui continue d’explorer ses thèmes de prédilection abordés dans ses deux derniers films (Afro Tanaka, Sweetpool Side), ceux du seuil et de l’éveil. Il s’éloigne cependant de la comédie lubrique. Les personnages de ses deux derniers films ayant un fort penchant pour les plaisirs liés à la pilosité, Shiori et Ayumi font presque figure d’adultes en comparaison. Ici le kawai (cute en anglais) ne s’exprime pas dans le style visuel ni dans la mise en scène ultra typée des personnages. Le kawai est tout simplement là en subtilité, imprégné dans la culture qui fonde le caractère de nos protagonistes. Et c’est dans cette candeur qu’elles ont besoin du regard de l’autre pour s’épanouir. L’effet pervers des médias sociaux sur les jeunes et leur construction identitaire qui s’érige à coup de cliques et de commentaires est bien illustré par Matsui. L’intérêt du film vient toutefois du fait qu’ici nos deux personnages se croisent physiquement. L’admiratrice franchit la barrière du web. Bien que Shiori exprime un malaise à cet effet, elles deviennent des amies à côtoyer et à connaître. Une relation sincère de proximité qui les nourrira l’une et l’autre dans leur quête d’émotions enracinées dans le présent.
Le style visuel fait un usage à la fois de l’interface blogue en surimpression, avec les commentaires qui apparaissent de manière colorée, ainsi que de la fenêtre vidéo du blogue. Ce procédé est courant, on pense entre autres à Love Strike! (Hitoshi Ohne) présenté à Fantasia en 2012, qui en faisait un usage limité au compte de type Twitter. Matsui pousse son usage de manière systématique en intégrant dans la trame narrative une couche de sens supplémentaire avec l’image vidéo de nos protagonistes. Il y a également le choix de Matsui d’utiliser le style caméra -épaule le plus souvent possible, qui nous donne ce sentiment de les suivre en direct sur leurs blogue.
Au diable les justifications narratives à l’occidentale. Sans rien dévoiler, la fin réserve quelques rebondissements qui feront sourire l’adepte de la culture japonaise fuyant la pensée cartésianiste. En conclusion, et jusqu’à la dernière seconde du film, en se questionnera toutefois sur le choix que prend nos jeunes protagonistes… Un coup de coeur? Peut-être pas, mais j’attends définitivement le prochain film de ce jeune cinéaste contemporain qui prend de la maturité.
Wonderful World End est présenté de nouveau le 26 juillet prochain, 15h, à la salle J.A. De Sève