Parmi les réalisateurs connus à Hollywood dans la dernière décennie, Zack Snyder s’est très tôt imposé comme un excellent plasticien. Des films comme Dawn of the Dead (2004), 300 (2007) et Watchmen (2009) ont contribué à asseoir cette réputation de par leur traitement visuel impeccable, alliant une caméra nerveuse mais maîtrisée à un sens du montage calibré. L’étoile de Snyder a toutefois commencé à pâlir quand une autre ambition a commencé à le dévorer: celle d’être reconnu, non pas uniquement comme un technicien compétent, mais aussi comme un véritable auteur, qui écrit lui-même ses films et qui est capable d’y aborder des thèmes matures et d’y faire preuve d’originalité scénaristique. De cette ambition a résulté la catastrophe qu’est Sucker Punch (2011), demi-blockbuster à l’intrigue pratiquement incompréhensible mâtiné d’onirisme pour adolescentes. Cet échec retentissant ne semble toutefois pas avoir complètement refroidi les ambitions de Snyder, puisqu’il revient maintenant avec un projet à la prémisse pour le moins audacieuse: Batman vs Superman.
La principale faiblesse des films de superhéros (dont l’auteur de ses lignes est, précisons-le, loin d’être fan) est de peiner à s’extirper d’un certain manichéisme: dans l’éternel combat du bien contre le mal, il est assez rare que le héros ait à s’éloigner du premier des deux pôles. Qu’importe la solitude et les doutes du protagoniste (que son nom soit Spiderman, Iron Man ou autre), il n’y a jamais remise en question du fait que ce qu’il combat est bel et bien le mal. Voilà pourquoi le pitch d’un film comme Batman vs Superman est aussi alléchant, puisqu’il promet un combat entre deux des justiciers les plus iconiques de la culture populaire. Désormais, les cartes sont mêlées.
Le film démarre plutôt bien, mettant rapidement en lumière l’abyme qui sépare Superman des hommes: tandis que celui-ci s’avère à achever son ennemi Zod dans un combat titanesque qui livre la ville de Metropolis aux effondrements et aux explosions (rappel de la dernière scène de Man of Steel (2013), film précédent de Snyder qui sert de ici de prémisse), c’est sur les habitants déboussolés de la ville que Snyder braque ses multiples mouvements de caméra. Un questionnement apparaît vite de façon explicite, à savoir comment un être indestructible comme Superman peut-il cohabiter avec les hommes? Ce questionnement en amène d’autres, non moins importants: comment une créature extraterrestre peut-elle dispenser la justice sur Terre? Dieu ou Diable, quelle est donc la nature de Superman? Les hommes doivent-ils courber l’échine devant sa toute-puissance, et sinon, comment peuvent-ils lui résister? C’est ici que la figure de Batman, le milliardaire tourmenté et policier de l’ombre, peut intervenir. La première moitié du film livre donc la marchandise, de façon incontestable. C’est par la suite que les choses se gâtent. Par une cruelle ironie, ce qui était la grande force de Zack Snyder (à savoir, comme mentionné plus haut, son indéniable sens du visuel) devient son talon d’Achille: à force de surdramatiser chaque scène, chaque plan, tantôt par un ralenti, tantôt par un flashback, à force de faire virevolter la caméra de façon ostentatoire dès que l’occasion s’en présente, le contenant finit par vampiriser le contenu, et l’intrigue, comme si elle était à bout de force, renonce à tous les développements prometteurs qu’annonçait le début. Batman vs Superman devient subitement un blockbuster convenu, pratiquement sans que le spectateur s’en rende compte, les deux justiciers unissant finalement leurs forces contre un vieil ennemi commun, à savoir le savant fou en quête de pouvoir absolu.
La distribution n’est certes pas là pour tirer le film vers le haut, entre Henry Cavill, acteur convenu et sans aspérité qui n’amène aucune profondeur au personnage de Superman (en même temps, lui en laisse-t-on les moyens?), et Ben Affleck, qui campe un Batman très en-deçà de ce à quoi Michael Keaton ou Christian Bale ont pu nous habituer. Le choix de Jesse Eisenberg, l’adulescent neurasthénique de Social Network (2010), pour incarner Lex Luthor, était de prime abord un contre-emploi intéressant, mais les cabotinages de l’acteur finissent par agacer.
En somme, Batman vs Superman est un film qui s’effondre sous nos yeux, et son échec final est d’autant plus lourd que Zack Snyder a réalisé, à partir de questionnements semblables, un film de superhéros beaucoup plus réussi avec Watchmen sept ans auparavant. En se contentant de mettre en images les pensées d’un autre (Alan Moore en l’occurrence), Snyder en arrivait à une œuvre bien plus ambigüe et dérangeante, et par conséquent plus intéressante. Le constat semble méchant, mais il se veut honnête.