Apprendre qu’il y aurait une adaptation cinématographique de la Chasse-galerie, vieille légende canadienne-française novélisée par Honoré Beaugrand en 1900, était plutôt une bonne nouvelle: d’une part, parce que les producteurs québécois venaient apparemment de découvrir que le folklore d’ici ne se limite pas à Séraphin, et, d’autre part, parce que c’est Jean-Philippe Duval, réalisateur du très bon film Dédé à travers les brumes (2009), qui s’est retrouvé aux commandes du projet. D’entrée de jeu, il est difficile de ne pas songer immédiatement à Sleepy Hollow (1999), le classique de Tim Burton. Les deux films partent d’un projet identique, soit d’adapter en long-métrage un court récit fantastique du terroir que tout le monde (ou presque) connait, en l’enrichissant de nouveaux personnages et de nouvelles situations. On regrette hélas assez vite d’avoir spontanément songé à cette comparaison, car elle n’est pas à l’avantage de Chasse-Galerie: la légende.
Le problème du film est somme toute assez simple à cerner: Chasse-Galerie manque d’audace, tant au niveau du scénario que de l’esthétique. Tandis que Sleepy Hollow s’ancrait dans une riche tradition de cinéma d’épouvante, empruntant ses décors gothiques aux premiers films de Mario Bava et ses couleurs déjantées à la Hammer Film des années 50-60, le film que nous avons sous les yeux se campe dans un classicisme rigide, qu’on peine à rattacher à quoi que ce soit, ce qui est d’assez mauvais augure pour une œuvre qui, a priori, devrait faire appel à une certaine « tradition » enfouie et à demi-oubliée, voire même à un certain sentiment de nostalgie. Il semble hélas que Duval se soit assagi; alors qu’il enlignait les morceaux de bravoure dans Dédé (séquences animées, ralentis oniriques…), ici il se contente d’une grammaire cinématographique convenue, rythmée par un montage fonctionnel et sans temps mort, mais aussi sans invention.
Scénaristiquement parlant, alors qu’un Sleepy Hollow adoptait sans complexe la forme de l’intrigue policière, Chasse-Galerie adopte plutôt celle de la tragédie, au sens où Jean Anouilh l’entendait, à savoir un genre où le spectateur peut dormir sur ses deux oreilles, puisque tous les éléments de l’intrigue sont en place dès le tout début et que le malheur, inévitable, n’a plus qu’à survenir (et ce, bien que le film se force à un demi-happy end). L’histoire débute donc sur un groupe de bûcherons coincés dans un train immobilisé par une tempête de neige la veille du Jour de l’an. L’un d’entre eux, dont la femme subit un accouchement difficile, fait un pacte avec le Diable: lui et ses compagnons pourront se rendre jusqu’au village en pagayant dans un canot volant, et le Diable s’engage également à sauver sa femme et son bébé à naître, en échange des âmes de ses compagnons. Mais lors du voyage de retour, l’homme est pris de remord et se suicide, sauvant du coup ses amis des flammes de l’enfer. Pour se venger, le Diable déclare que sa malédiction pèsera désormais sur la fille du suicidé. Parvenue à l’âge adulte, cette dernière et son amant auront donc à subir les manigances du prince des ténèbres.
Toutefois, malgré ces développements convenus, il serait injuste d’être trop dur envers Chasse-Galerie. Placé sous une optique réaliste, le travail accompli est satisfaisant, tant à ce qui a trait à la direction artistique et aux effets visuels qu’au jeu des acteurs, lesquels délaissent même le français radio-canadien pour une parlure québécoise un peu plus sentie (enfin, pas trop non plus, il faut se garder de trop écorcher les oreilles montréalaises. On n’est quand même pas chez Pierre Perrault). La présence charismatique de François Papineau est à souligner. Le film accomplit tout de même l’objectif louable d’offrir un nouveau médium (et par conséquent un nouveau public) à une œuvre marquante de notre folklore. On se demande seulement pourquoi des artistes que l’on sait talentueux font preuve d’autant de retenue.
https://www.youtube.com/watch?v=RbBS8ZZ_Irg