Dans l’histoire du cinéma québécois, le genre documentaire tient une place déterminante. C’est en effet par le biais des documentaires produits par l’ONF que notre cinématographie nationale put se doter de ses premières œuvres marquantes et de ses premiers grands auteurs, notamment via le courant du « cinéma direct » des années soixante et soixante-dix (Perrault, Brault, Gosselin, etc.). L’évocation du documentaire québécois est forcément à l’intersection de la joie et de l’amertume: joie (et fierté) vis-à-vis d’un genre fondateur, mais aussi amertume devant l’effondrement des structures qui ont contribué à sa naissance (l’ONF étant moribonde depuis longtemps) et devant la disparition progressive, sous les coups redoublés de l’américanisation et de la mondialisation, d’une certaine identité canadienne-française que le cinéma direct avait contribué à valoriser. Cette longue introduction, pour pompeuse et didactique qu’elle apparaisse, n’en est pas moins appropriée pour saisir l’émotion que provoque Mon ami Dino, troisième long métrage de Jimmy Larouche, présenté en avant-première à Fantasia.
Le concept mis en scène par Jimmy Larouche est simple: qu’est-ce qui arriverait si Dino Tavarone (acteur de la série Omerta, notamment) tombait malade et se retrouvait mourant. Faux-documentaire s’amusant à brouiller les frontières du réel et de la fiction, Mon ami Dino se veut tout d’abord un hommage à son interprète principal, Dino Tavarone, fringant septuagénaire italo-montréalais dont la présence respire la franchise, l’humour et l’irrévérence. C’est ce personnage hautement attachant que le film nous montre en train de dépérir petit à petit. Tavarone raconte sa vie, ses déboires, nous introduit à sa famille et à ses amis. Malade, il fait le choix de n’en parler à personne, craignant de faire souffrir ses proches. Ce subtil mélange d’authenticité, de pudeur et de courage, n’est-ce pas cela qu’on appelle la virilité? Petit à petit, le film de Jimmy Larouche se fait le porte-étendard de ce sentiment aujourd’hui perdu. L’émotion qu’on ressent devant la lente agonie de Dino Tavarone n’est pas seulement la réminiscence (pour ceux qui l’ont vécu) de la douleur impuissante que l’on éprouve lorsqu’un être aimé est terrassé par la maladie; elle est aussi liée à l’agonie d’une époque, d’un genre et d’un certain type d’hommes.
Il faut néanmoins se garder d’être trop pessimiste. Mon ami Dino finit d’ailleurs sur une lueur d’espoir, montrant son interprète principal retrouvant ses esprits et retirant son maquillage blafard pour réintégrer le monde des vivants, un moment qui fait écho aux premières secondes du film. La boucle est bouclée et la vie est toujours présente. Film indépendant dont l’économie de moyens n’a d’égale que l’intensité et la variété des émotions qu’il dégage, Mon ami Dino est une indéniable réussite.