Fantasia 2016 – Beware the Slenderman

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Beware the Slenderman, documentaire produit par la mythique chaîne HBO, s’annonçait comme un curieux objet. La réalisatrice Irene Taylor Brodksy braque sa caméra sur une tentative de meurtre commise en mai 2014 par deux fillettes de douze ans au Wisconsin. Les deux fillettes ont tenté de sacrifier une de leurs camarades pour devenir des disciples du Slenderman, sorte de croquemitaine issu d’un canular sur Internet et objet d’une multitude de jeux vidéo, de fanarts et de memes. Croyant dur comme fer à son existence, les deux fillettes sont incarcérées et leur procès démarre.

Le thème de l’enfant diabolique (ou possédé, ce qui revient au même) est un des lieux-communs particulièrement angoissant du cinéma d’horreur. On peut s’amuser à citer Village of the Damned, The Innocence, The Exorcist, The Omen… Ici, en revanche, le spectateur n’a plus la barrière de la fiction pour se rassurer. Passé le choc initial, Beware the Slenderman fait naître de nombreuses questions: qu’est-ce qui a pu pousser deux fillettes en apparence paisible à poignarder une de leurs amies? En quoi le contexte dans lequel évolue l’enfance d’aujourd’hui peut-il être tenu responsable? On dira que maintenant les enfants sont exposés dès leur plus jeune âge à une multitude d’images via Internet, dont certaines sont d’une violence inouïe, mais les générations précédentes n’y étaient-elles pas également exposée, de par la télé ou les jeux vidéo? On peut avancer que ce que la généralisation de l’Internet a amené, c’est l’idée du réseau. L’Internaute participe lui-même au médium. Être connecté à Internet, c’est être à la fois acteur et spectateur vis-à-vis d’une multitude d’individus. Il n’y a donc plus de cassure entre le médium et le réel, l’un peut contaminer l’autre avec bien plus de prégnance qu’avec la télévision, pour le meilleur et pour le pire. D’ailleurs, parmi la foule d’intervenants que convoque Brodsky, on note un absent de taille: Eric Knudsen, alias Victor Surge, l’artiste qui a inventé Slenderman. Au fond, est-ce étonnant, puisque la logique du réseau fait en sorte qui ce qui est créé est aussitôt récupéré, détourné par d’autres? La disparition de l’auteur, prophétisée par Deleuze, semble en voie de s’accomplir. Et elle n’est pas belle à voir.

La démarche de Brodsky n’est toutefois pas exempte de défauts. Par moment, le film semble vouloir embrasser trop de sujets différents (l’Internet, les mythes et légendes, les maladies mentales…) et en devient décousu. Peut-être que l’ajout d’une voix-off aurait rendu le tout plus digestible? De plus, l’esthétique télé finit par lasser au bout de deux heures de métrage, surtout la musique, qui devient franchement énervante à force de souligner de façon pompière chaque moment de tension. Certains pourront également trouver que les enfants et leurs familles s’expriment avec un peu trop d’aisance devant la caméra pour que tout soit réellement spontané. Dans tous les cas, cela n’empêche pas le film de livrer des moments poignants: on y voit un père montrer les dessins que sa fille effectue en prison, dessins qui représentent des écrans de télés et d’ordinateurs; on y voit un psychiatre interrompre une conversion importante avec l’une des deux jeunes accusées pour répondre à son cellulaire; on y voit un home movie d’une des filles, dans sa prime enfance, qui reçoit une tablette pour Noël. Ces images nous font prendre violemment conscience de l’intrusion des technologies dans nos vies, et du rapport de dépendance qui s’est installé.

Beware the Slenderman est donc un témoignage coup-de-poing sur le caractère aliénant de l’Internet, dont la viralité montre ici sa facette sombre. Les multiples effets de mode qui apparaissent et disparaissent sur la toile ne sont pas innocents: ils sont les symptômes d’une grande perméabilité de l’esprit humain, une perméabilité qui peut conduire au meurtre. Pour bien enfoncer le clou, Brodsky inclut dans son film des exemples de fanarts inspirés du crime des deux fillettes: non seulement l’Internet peut générer des horreurs, mais il peut les récupérer ensuite, dans une boucle infernale qui donne le vertige. Malgré ses imperfections, Beware the Slenderman est donc d’un intérêt certain.