Signe de la morosité des temps, le film post-apocalyptique (« post-apo », pour parler comme les connaisseurs) s’est structuré comme un genre à part entière. Ce n’était donc qu’une question de temps avant que le cinéma québécois s’y attelle. Arrive donc Feuilles mortes, réalisé par Thierry Bouffard, Carnior et Édouard A. Tremblay, des anciens du collectif humoristique Phylactère cola. Le principal défaut du film consiste justement dans le fait qu’il arrive « après »: comparé à des oeuvres écorchées vives comme Children of Men (2006) ou comme The Road (2009), il apparaît bien sage. L’intrigue se situe cinq ans après un cataclysme jamais nommé, simplement désigné comme « la crise », et entrecroise plusieurs histoires d’individus qui cherchent à survivre dans un monde où la civilisation s’est effondrée. Mais les acteurs ne sont pas assez sales, leurs dents sont trop blanches, leurs barbes trop bien taillées pour qu’on y croit vraiment. Ils crient encore comme on apprend à crier à l’École nationale de théâtre. Comme on pouvait s’y attendre, seul Roy Dupuis tire véritablement son épingle du jeu, composant un personnage de « coureur des bois » taciturne mais sensible.
Il faut toutefois être honnête: Feuilles mortes n’est tout de même pas une partie de plaisir. La mise en scène parvient à ménager de réels moments de tension, qui parfois dégénèrent en explosions de violence qui viennent contrebalancer la tiédeur du reste (tiédeur qui est aussi, trop souvent, l’apanage de notre cinéma national). La qualité du travail de la caméra est également à souligner, tout comme l’ambiance sonore, très prégnante. De plus, le film présente une remarquable unité de ton, ce qui mérite d’être mentionné puisque trois réalisateurs différents s’y alternent.
Au fond, la question qu’il faut poser, c’est: est-ce que le genre post-apocalyptique a vraiment toujours une pertinence, est-ce qu’il s’imposera de façon durable, ou est-ce qu’on regardera bientôt ses manifestations avec le même amusement que provoque aujourd’hui les films de science-fiction des années cinquante, qui fantasmaient un conflit nucléaire mondial qui n’est jamais venu? En somme, le genre apparaît déjà trop stéréotypé pour amener un commentaire vraiment fécond sur le futur de l’humanité, et ce, qu’on soit pessimiste ou pas. Feuilles mortes, malgré d’indéniables qualités, s’en ressent.