Il y a un adage que les cinéphiles ne se répètent pas assez souvent, même si à peu près tout le monde s’entend sur sa validité: ne pas se fier aux bandes-annonces. En découvrant celle de Let Me Make You a Martyr lors du lancement de la programmation de Fantasia, on pouvait s’attendre à une sorte de thriller policier vaguement psychédélique, qui aurait bouleversé les codes narratifs pour imposer une imagerie choquante et originale au spectateur. On s’est plutôt retrouvé devant un film incroyablement verbeux, qui multiplie les personnages secondaires inutiles joués par des acteurs sans charisme (et à l’accent du Midwest pas toujours intelligible).
La figure du White Trash n’en est certes pas à ses premières armes à l’écran. Par ce terme, on entend ces Blancs pauvres du sud des États-Unis vivant pratiquement en-dehors de l’état de droit, et dont la vie n’est que misère et violence. On pense, évidemment, à Easy Rider (1969), le classique de Dennis Hopper, mais aussi à l’excellente série True Detective mettant en vedette Matthew McConaughey et Woody Harrelson. Sa résurgence nous rappelle que l’Amérique n’a toujours pas exorcisé ses vieux démons. Ici, cette figure est personnifiée par Drew Glass, un petit truand de retour dans sa ville natale après plusieurs années, qui se trouve confronté à son père adoptif, caïd local. Hélas, les réalisateurs Corey Asraf et John Swab se contentent d’enligner les clichés les plus éculés: scènes d’interrogatoire, de piquerie, de boîte à striptease, de fusillades molles et de romance entre le petit bum et son amante tourmentée s’enchaînent sans jamais que le spectateur ne se sente trop concerné. Le personnage le plus marquant du film est sensé être Pope, tueur à gage froidement sadique incarné par la star metal Marilyn Manson. On pense immédiatement à Chigurh, l’assassin professionnel de No Country for Old Men (2007), joué par Javier Bardem: même habit sombre, même visage blême et cadavérique, même aura inquiétante d’esprit vengeur expulsé hors des rangs du genre humain. La comparaison n’est toutefois pas à l’avantage du film, Manson étant bien moins bon acteur que Bardem.
Pour être absolument honnête envers Let Me Make You a Martyr, il faut concéder que la construction du récit en flashbacks n’est pas inintéressante, et que les images font montre d’un réel savoir-faire technique, ménageant ici et là quelques beaux plans. Le film est en revanche plombé par sa prétention à bousculer le spectateur, et ce n’est aucunement une accusation gratuite de le dire: les deux réalisateurs étaient présents pour la projection (c’était la première mondiale), et leur brève présentation avant le film laissait clairement entendre qu’ils allaient offrir une œuvre choquante et décalée. Après-coup, on s’en sent presque insulté. Et on a envie de leur déconseiller d’aller voir le cinéma d’Haneke, de Pasolini ou de Gaspar Noé: leurs douces illusions quant au caractère subversif de Let Me Make You a Martyr en seraient impitoyablement détruites.