"Slash: A genre of fan fiction - or of fan cultural production more generally - that imagine a homoerotic relationship between fictional characters taken from mass-media texts" - Henry Jenkins "While depiction of graphic sexuality are common (…), many other stories that community members classify as K/S, or slash, describe the relationship and foreplay but stop at depiction of sexual acts" - Camille Bacon-Smith
Depuis quelques années je prends l’habitude de me pencher sur au moins un film toutes catégories confondues qui s’intéresse à la culture populaire comme sujet: Rewind This, Raiders The Story of the Greatest Fanfilm ever Made, 5-25-77. Cette année j’ai été voir le film de fiction Slash. Le terme « slash » vient de l’expression « Kirk/Spock », qui désignait à l’époque les premiers récits homoérotiques écrits par des fans qui mettaient en scène les deux personnages de la populaire série télé Star Trek. Le mot « slash » pour « / » qui lie Kirk et Spock, en est venu à désigner dans la communauté de fans tous les récits de fanfiction à caractère érotique impliquant deux personnages de même sexe. Il va s’en dire que les producteurs sont très frileux face aux libertés prises par les auteurs de slashfic, et que de nombreuses mises en demeure furent émises depuis le début de leur distribution (dans les fanzines), mais en vain, « we can’t stop the signal ».
Le réalisateur Clay Liford a bien fait sa recherche. Bien documenté, il aborde le sujet avec respect et exactitude, alors qu’il aurait pu facilement verser dans l’étalage gratuit de stéréotypes maintes fois entendus sur le fan. Liford dépeint avec justesse les clichés et les jugements entretenus par l’entourage d’un fan à son sujet, mais en posant un regard tendre sur celui-ci sans l’ostraciser. Le jeune Neil, 15 ans, écrit de la slashfic. Ridiculisé par ses camarades de classe à ce sujet, il se lie d’amitié avec la fougueuse Julia, également auteur de slashfic et membre d’une communauté qui met en ligne leurs récits. Pour Neil, la découverte de la communauté de fanfic en ligne passe d’abord par sa curiosité et son attirance pour Julia, dont il découvre en ligne des photos de cosplay d’elle déguisée en elf. Et comme pour rendre une certaine noblesse à la démarche de notre protagoniste, le réalisateur utilise quelques trames du répertoire classique, comme La sonate à la Lune #14 de Beethoven. Très à la mode depuis quelques années dans le cinéma indépendant, l’inclusion de musiques indy electro-minimaliste sied également bien au sujet et rend la quête de Neil d’autant plus spontanée et dépourvue de malice.
Julia et Neil se rencontrent au seuil de l’âge adulte, explorant leur sexualité avec pudeur et avec toute la naïveté du monde. Ils ont l’occasion d’aller à une lecture publique de slash lors du Comiccon de Houston, le seul problème est leur âge, sur lequel ils mentent. Le film est un charmant « coming of age story » qui fait sourire, dans lequel nos personnages testent les limites à ne pas transgresser. De ce côté, Liford passe bien près de franchir une dangereuse ligne, s’arrêtant à la frontière d’une moralité perverse, en soulignant bien le danger que peuvent rencontrer les jeunes fans mineurs. La réalisation est sans éclat, toutefois, et ressemble davantage à un téléfilm, sans audace esthétique, mais a le mérite de laisser toute la place à l’innocence affichée de nos personnages. Or, le gros écueil est que le film entretient, probablement malgré lui et de manière inoffensive, l’image du fan immature en constante phase de passage, en associant cette classe d’individu à l’éternel adolescent qui refuse de vieillir. Alors que le fan est de tous âges, et de toutes les classes de la société. L’alternance entre les scènes fictives de l’univers slash écrites et imaginées par Neil et les scènes dans l’univers réel entretient également une sorte d’ambiguïté quant au propos du film. Les personnages dans l’univers slash explorent leur sexualité, comme Neil et Julia… Quoiqu’avec une bisexualité timidement avouée. Comme si l’art de la fanfic ou de la slashfic constituait une activité pareillement exploratoire pour une catégorie de fans immatures qui se cherchent toujours!
Les dialogues sont truffés de références à la culture du fandom (les références à Harry Potter sont particulièrement juteuses… Surtout en sachant que Slash est inspiré du court métrage qui utilise l’univers de JK Rowlings comme matériel source). Le fan, par son inclusion dans une communauté serrée, ressent le privilège d’appartenir au cercle des privilégiés en se sentant dans le secret. Julia exprime bien ce sentiment à Neil de manière candide : « I bet we are the only two kids… That know about what we know about… ». Le film de Clay Liford est agréable à regarder. L’habitué des Comiccon se sentira chez lui, les autres découvriront une autre facette de la culture des fans peu abordée au cinéma. Slash est par ailleurs le premier film à s’intéresser au sujet de la slashfic.