La situation est actuellement déplorable en Corée du Sud pour toute une génération d’ainés vivant les répercussions provoquées par les changements sociaux drastiques de l’après-guerre. Les coûts de logement sont exorbitants, ainsi que les services de santé qui sont hors de prix pour les ainés qui vivent seuls. Alors que les personnes vieillissantes étaient autrefois prises en charge par la famille, les enfants, adultes, se déresponsabilisent maintenant que trop facilement (je pense entre autres à Tokyo Story de Yasujiro Ozu, qui traitait déjà de ce thème dans les années 50). La conséquence est navrante, de plus en plus d’ainés se retrouvent seuls et vulnérables, poussant très souvent ceux-ci au suicide en sollicitant l’aide de proches. Afin d’aborder le sujet délicat de la mort assistée (plutôt d’actualité au Québec depuis quelque temps), le réalisateur E J-yong (Untold Scandal, Actresses), qui s’intéresse beaucoup aux personnages féminins, nous propose un récit doux-amer qui nous plonge dans le monde également peu abordé au cinéma de la prostitution chez les ainés, et brosse une étude de personnages finement réalisée, tout en sobriété et en douceur.
So-young, 65 ans, est l’une de ces Bacchus ladies, nommées ainsi à cause de la célèbre boisson énergisante Bacchus, très populaire en Corée, et vendues par elles dans un parc de Séoul où se tiennent d’autres hommes du troisième âge – mais aussi des plus jeunes. Or, elles ne vendent pas que ces boissons. Un jour, So-young tombe sur un jeune garçon philipinois séparé de sa mère. So-young prendra l’enfant sous son aile, aidée d’un voisin, amputé d’une jambe, et de la propriétaire, transgenre, pendant qu’elle travaille de jour au parc sollicitant des clients. Cette bande de personnages atypiques (qui fait beaucoup penser au Tokyo Godfather de Satoshi Kon), vivant dans une société qui les marginalise est le coeur de cette histoire charmante, portée par la merveilleuse Youn Yuh-jung (The Housemaid, Actresses). Cette mise en situation semble constituer le coeur du récit proposé, mais le réalisateur J-yong nous amène subtilement vers un autre terrain, lorsque le personnage de So-young se fait demander par un vieil ami de l’aider à mettre fin à ses jours. Ce qui bien sûr la bouleverse, comme nous, devant la fragilité de ces êtres souffrants qui implorent son aide, parce qu’il ne sera pas le seul. Elle ne vend plus alors seulement que son corps, mais la promesse d’une douce libération.
La caméra de J-yong est respectueuse parfois animée de longs mouvements, et reste collée à So-young, nous laissant observer toutes les nuances de son jeu. Le regard tendre que So-young porte sur l’enfant philipinois, qu’elle insiste pour prendre soin, évoque tout un passé de regrets dont elle aimerait s’affranchir. Une scène dans un fast-food, où elle fait la brève rencontre d’un soldat américain est particulièrement touchante à cet égard. L’inclusion d’un personnage transgenre est aussi fort intéressante, car ce sentiment timide d’incertitude ressenti lorsqu’il entre en scène correspond précisément à cette émotion d’ambiguïté et d’ambivalence vécue par So-young, partagée entre ses bonnes intentions, naïves, de vouloir rendre service et tout le drame que cela sous-tend. La force du film est précisément là, celle d’entretenir cette façade sympathique, remplie de bonhomie, sans aucune malice, alors que le drame il est justement bien là droit devant nous!
Si vous voulez faire une petite pause de l’hémoglobine fantasiesque, The Bacchus Lady sera à nouveau présenté le 25 juillet à 19h25, à la salle J.A. de Sève