La sauvagerie humaine et la souffrance viscérale de la chaire sont au coeur des thèmes explorés par Sang-ho. Sa filmographie est courte, mais déjà marquante, incluant les films d’animation The King of Pigs (2011) et The Fake (2013), tous les deux présentés à Fantasia dans le passé. The King of Pigs avait par ailleurs remporté le prix Satoshi Kon pour le meilleur film d’animation en 2012. Sang-ho revient à la charge cette année avec non pas un, mais deux films de zombie. Un genre qui sied bien à ses thèmes de prédilection. Train to Busan, un film tourné en prises de vue réelles, et Seoul Station, un film d’animation dans la veine esthétique de ses précédents essais, c’est-à-dire utilisant une palette de couleurs ternes et terreuses, exprimant bien la brutalité implacable vécue par les personnages. Tout en explorant les tropes connus du film de zombie tels qu’instaurés officieusement par George Romero, Sang-ho inscrit ses deux récits dans des lieux communs, une station de métro pour l’un et un train pour l’autre. Deux endroits de passage, invitant nos personnages à se déplacer vers leurs destins, inévitables. À tel point qu’on pourrait avoir l’impression que l’un se déroule dans le même univers que l’autre. Par exemple, les raisons justifiant la propagation du virus ne sont pas expliquées dans Seoul Station, alors qu’elles sont évoquées dans Train to Busan. Celui-ci se démarque en empruntant un style plus grand public et des personnages plus sympathiques, Seoul Station maintient le même climat nauséabond d’étouffement que King of Pigs et The Fake. À l’instar de ces deux derniers, Sang-ho met en scène des personnages dérangés, torturés par la vie, égoïstes et constamment animés par l’instinct de survie, cherchant à profiter de la misère des autres.
Train to Busan rappelle à bien des égards Speed de Jan de Bont. Une fois le train démarré, il ne s’arrête presque jamais. La proposition est foncièrement cinématographique dans la forme. En ce sens, le film projeté traditionnellement dans la salle de cinéma ne s’arrête pas. Le spectateur est condamné à avancer dans l’histoire au rythme de la projection. Pareillement, nos protagonistes font face à l’épidémie de zombie à bord du train qui se rend vers Busan; dans ce train ils sont forcés d’avancer de wagon à wagon afin de venir au secours de leurs proches (on pense ici à Snowpiercer de Bong Joon-ho). Or, les obstacles ne viendront pas toujours d’où l’on pense. L’instinct de survie, parfois, rend certains individus complètement inaptes socialement, prêt à toutes les bassesses pour rester en vie sans égards au groupe. Sans réinventer le genre, la trame a le mérite d’être claire en présentant rapidement les enjeux dramatiques du récit. Un père, Sok-woo (Gong Yoo, Silenced), favorise sa carrière et néglige sa jeune fille, Soo-ahn. Il manque son spectacle scolaire et rate sa fête – typique, occupé à transiger une importante transaction boursière liée à une entreprise de biotechnologie (d’où la contamination serait l’origine). Sa fille, la très touchante et attendrissante Soo-an Kim, veut accompagner son père à Busan pour qu’elle puisse voir sa mère. Hésitant, exprimant toutes les excuses habituelles d’un père irresponsable qui se défile à la moindre occasion, il cède aux arguments émotifs de sa fille. Bien sûr, le voyage qu’il entreprendra avec elle lui permettra de se réhabiliter aux yeux de sa fille. L’histoire avance à un rythme effréné, dans lequel les personnages sont confrontés à des choix moraux: le groupe ou l’individu? Le père met d’ailleurs en garde sa fille dès le but, car trop altruiste pour lui, afin qu’elle protège sa propre vie d’abord. Certaines idées de mise en scène ajoutent à la tension, comme les zombies qui se retrouvent perdus dans le noir. Train to Busan trouve clairement certaines inspirations tirées de World War Z, en empruntant par moment la même imagerie. Les zombies sont rapides, ils courent, et s’agglutinent rapidement en troupeau, s’agrippant aux véhicules! Or, alors que la majorité des récits de zombies occidentaux se concentre sur le développement ou l’acquisition d’un vaccin ou d’un remède, comme dans World War Z, Train to Busan favorise plutôt les personnages et leurs relations face aux événements. Dans ce sens, le film de Yeon Sang-ho est plus efficace que WWZ.
Seoul Station est beaucoup plus sombre, et plonge les pieds joints dans un récit qui dépeint avec cynisme l’absurdité humaine. Sang-ho s’intéresse d’abord aux itinérants de la station Séoul qui occupe les lieux durant la nuit. L’un d’eux est atteint d’un mal, saignant abondamment du cou suite à une morsure. Son ami, simple d’esprit – mais probablement le plus humain de cette histoire, fait tout en son pouvoir pour l’aider en lui procurant des médicaments. La jeune Hae-sun, quant à elle, cherche son copain pour qu’il paie le loyer en retard! Mais ce dernier, plutôt que de se trouver un boulot, veut forcer Hae-sun à se prostituer. Ici, non seulement nos protagonistes fuient les zombies, mais ils tentent également de fuir le cadre que l’entourage leur impose. Les itinérants sont forcés de fuir la station, et Hae-sun veut fuir un passé qui semble vouloir la rattraper. La tendresse n’est pas de ce monde et le discours est cru, et souvent vulgaire. À tel point que l’horreur graphique devient pratiquement plus tolérable que la folie humaine. Cette folie à l’état brut, mêlée au style d’animation cell-shading utilisé par Sang-ho, exacerbe le sentiment de malaise. Les rapports humains ne sont jamais sains, et on peine à trouver une lueur d’humanité, s’attachant à la jeune Hae-sun qui fuit ce monde déjà déshumanisé par l’hypocrisie. En conclusion, le revirement inattendu laisse peu d’espoir, mais le retour du balancier est jouissif!
Malgré la différence de ton et de style, ces deux films s’inscrivent parfaitement dans la continuité thématique de l’oeuvre de Sang-ho, qui explore et cherche, à travers la violence physique et morale, ce qui reste encore d’humain parmi nos semblables. Dans ce sens, la finale de Train to Busan est éloquente!
Train to Busan est projeté à nouveau le 31 juillet à 11h30, Théâtre Hall
Seoul Station est projeté également le 27 juillet à 17h, Théâtre Hall