Flottant dans les eaux troubles de la mer de la Méditerranée, un homme inconscient est repêché par l’équipage d’un chalutier. Retrouvé avec deux balles dans le dos, il est soigné par le capitaine du bateau. L’homme a perdu la mémoire et a pour seul indice le numéro d’un casier retrouvé sous la peau de sa hanche. Avec l’aide d’une Allemande, Marie (sic), qui tente d’immigrer aux États-Unis, Bourne devra fuir la police tout en suivant les indices qui pourraient lui révéler son passé. Toutefois, le duo fuit également une autre organisation, la CIA, qui lance des assassins ultras entraînés à leur poursuite. Ne voulant pas risquer la vie de Marie davantage, Bourne ira seul confronter ses poursuivants.
Adaptée d’un roman de Robert Ludlum (1980), l’histoire de The Bourne Identity (Doug Liman) est également, dans une certaine mesure, très hitchcockienne. On a qu’à penser à Spellbound (1945), Vertigo (1958) et à North by Northwest (1959), entre autres, dans lesquels les thèmes de la mémoire et de l’identité sont au coeur même des récits. D’autres petits films indépendants mettant en scène un personnage amnésique ont également reçu des accueils chaleureux durant les années précédant la sortie de Bourne, outre Dark City (1998, Proyas), citons en exemple Memento (2000, Nolan). Un peu comme l’avait fait judicieusement Nolan, Liman commence son récit, à l’instar du roman, de manière à ce que le spectateur découvre au fur et à mesure, et en même temps que Bourne, les ficelles qui animent l’intrigue. Ainsi, la force du film ne vient pas seulement tant du scénario, mais aussi de la mise en scène sobre, ainsi que du montage, au style nerveux et efficace. Ce dernier contient d’ailleurs les gènes que le monteur Christopher Rouse perfectionnera dans les deux suites réalisées par Paul Greengrass. Un tournage à plusieurs caméras portées, les jump-cut et les sautes d’axe contribuent à diversifier les angles de prises de vues au montage, pour un effet cinétique particulièrement réussi.
Le style du cinéma d’action contemporain qui favorise ce que j’appellerais un spectaculaire hyperréaliste – notamment lorsque, par exemple, les explosions démesurées aveuglent le spectateur (voir les films Michael Bay) – se voit dans Bourne redéfini au profit d’un réalisme spectaculaire, qui met en scène l’action sans tambour ni trompette. Les coups portés sont brutaux, les chutes font mal et les voitures n’explosent pas lorsqu’elles se heurtent. Définitivement, The Bourne Identity inspira un nouveau style plus réaliste, avec une caméra portée, qui transparaitra dans les films d’action qui suivent, et cela, de Casino Royale (2006, Campbell) – et les suites mettant en scène le personnage de Bond joué par Daniel Craig – à The Dark Knight Trilogy de Nolan, en passant par The Hurt Locker (2008, Bigelow). On ne peut également s’empêcher de penser au film, précurseur, de William Friedkin The French Connection (1971), qui fit un usage très remarqué, surtout pour l’époque aux États-Unis, de la caméra portée. La comparaison entre la désormais célèbre poursuite de voiture dans le film de Friedkin et celle dans Bourne est aussi inévitable.
Mentionnons également le jeu sobre des comédiens, notamment celui de Matt Damon qui aborde son personnage avec candeur. Découverte dans Lola Rennt (1998, Tykwer), Franka Potente joue avec subtilité le personnage décontenancé par les événements, mais sans jamais tomber dans la caricature de la jeune femme en détresse. Sa présence aux côtés de Matt Damon ajoute certainement une aura internationale que le film bénéficie grandement. Ce n’est d’ailleurs que dans le troisième opus de la trilogie (Bourne Ultimatum) que le personnage de Bourne foulera le sol des États-Unis pour la première fois. Quant à la musique, Powell su créer une trame originale, rythmée, qui signe avec brio la facture musicale des trois films. La musique de Powell accentue les moments de tension au bon moment sans jamais trop prendre le devant de la scène, comme c’est souvent le cas avec les compositeurs plus wagnériens comme John Williams. Un incontournable du cinéma d’action américain, en gardant toutefois à l’esprit que les suites réalisées par Greengrass (sauf peut-être le dernier Bourne [2016]) atteignent un niveau de perfection plus élevé, plus maitrisé.