Le réalisateur de Secret Reunion, Jang Hoon, renoue avec l’acteur Song Kan-ho (The Host, Thirst) dans ce drame inspiré de faits réels. Sans jamais tomber dans la tragédie, Hoon garde intacte la mince ligne entre le devoir de mémoire refusant le sensationnalisme gratuit, et la facilité dramatique. Car effectivement, le film aurait pu céder et tomber dans le piège du pathos, un piège que le réalisateur évite adroitement.
Mai 1980, le chauffeur de taxi Kim Man-seob, à court d’argent, avare, grincheux, veuf, et vivant avec sa fille de 11 ans, se voit malgré lui entrainé dans les manifestations meurtrières de Gwangju en y transportant un journaliste allemand – appelé Peter dans le film, mais basé sur le récit de Jürgen Hinzpeter. Par ignorance, et surtout par crainte du danger, Kim tente à plusieurs reprises de faire faux bond malgré la bonne paie que lui promet l’Allemand, mais aussi inquiet d’avoir laissé sa jeune fille seule à Séoul. Or, la réalité des horreurs dont il est témoin le rattrape, ainsi que le sentiment qui le pousse, pour une fois dans sa vie, à ne pas rester les bras croisés!
Song Kan-ho joue avec finesse le chauffeur de taxi, méritant son prix d’interprétation à Fantasia comme meilleur acteur masculin. Les tiraillements intérieurs et les doutes qui surgissent lentement dans son esprit traduisent bien l’incompréhension face aux absurdités politiques que seul le journaliste étranger semble maitriser plus que lui. Si A Taxi Driver est si efficace, c’est bien parce que Hoon sait nous immerger à hauteur d’homme, en gardant la caméra collée sur le pauvre Kim, dérouté par ce qu’il voit. C’est précisément à travers ses yeux que la fragilité des relations humaines s’exprime. D’abord entre sa fille et le petit voisin, entre lui et sa propriétaire, entre lui et Peter, puis entre les chauffeurs de taxi. À l’échelle d’une nation les divergences idéologiques – conséquences d’un coup d’État – se transforment également en conflit, ici cantonné à Gwangju, que le gouvernement isole du reste du pays pour éviter que s’ébruite la répression subie par la population. Kim, le chauffeur de taxi, est un héros silencieux, encore méconnu, qui ne s’est jamais manifesté, ni jamais retrouvé par le journaliste allemand – qui a pourtant fait des pieds et des mains pour lui reparler. Encore une fois, A Taxi Driver est l’un de ces films qui illustrent de manière sobre, sans artifices formels, comment deux personnes ne parlant pas du tout la même langue, arrivent malgré tout à transcender les frontières nationales et à trouver un consensus face aux horreurs qui les entourent. Un film bien écrit, touchant et nécessaire.