Ici comme ailleurs dans le monde occidental, le sujet de l’immigration est l’un de ceux qui occupent le plus de place dans l’espace public, déclenchant fréquemment de vives polémiques. Il symbolise le frottement entre deux mondes, non seulement de par le choc des cultures, mais aussi de par l’opposition, peut-être beaucoup plus fondamentale, entre le monde moderne et le monde post-moderne, entre le monde de l’attache, de l’enracinement et celui de la mobilité et de l’individu-roi, débarrassé du poids de l’héritage et des contraintes qui viennent avec. Most Beautiful Island, premier long-métrage d’Asia Asensio (également scénariste et actrice principale du film), aborde la question avec beaucoup d’ambiguïté. Nous y reviendrons.
Most Beautiful Island met en scène Luciana, immigrante espagnole qui a fui son pays après un drame familial et qui vivote comme elle peut à New York. L’une de ses amies, immigrante russe, lui propose un mystérieux emploi qui lui permettrait de gagner beaucoup d’argent : elle n’a qu’à se présenter au lieu-dit, à l’heure dite, en petite robe noire. C’est alors que le véritable cauchemar commence.
Asensio développe son intrigue pas à pas, faisant longuement languir le spectateur avant de lui révéler les tenants et aboutissants de l’histoire. Il faut saluer le travail de caméra du film, avec ses travellings instables et sa texture d’image granuleuse, qui gardent la tension vivace. La meilleure scène du film, celle qui en révèle possiblement l’essence, est celle où Luciana prend son bain dans l’appartement qu’elle loue : une fissure apparaît dans le mur de la salle de bain et plusieurs coquerelles en jaillissent, tombant dans l’eau où elles s’attaquent mutuellement et se débattent tout en se noyant, tandis que la caméra s’attarde sur elles en une série de très gros plans. Ces coquerelles symbolisent peut-être bien le flot d’immigration se répandant dans les métropoles, myriade d’individus s’entre-dévorant non pas pour une place au soleil, mais simplement pour s’en sortir.
Most Beautiful Island ne donne certes pas une image flatteuse du genre humain, sans qu’on puisse toutefois savoir si la chose est intentionnelle ou pas. Le personnage de Luciana, sensé attirer notre sympathie, se révèle menteuse et profiteuse. La scène finale, à ce titre, est particulièrement embêtante. Peut-être le film est-il à ranger dans la même catégorie que le Salò de Pasolini (œuvre bien plus radicale sur les plans esthétiques et scénaristiques), à savoir qu’il est voué à dépeindre une situation de manière quasi entomologique, et non à provoquer un quelconque plaisir chez le spectateur? Most Beautiful Island, malgré ces ambiguïtés, reste malgré tout un premier long métrage fort louable, qui mérite de susciter le débat.