Primé à la dernière Berlinale en février, Spoor, mise en scène par la polonaise Agnieszka Holland, se présente comme une œuvre fort singulière. Le personnage de Duszejko, qui est au centre du film, est une vieille retraitée vivant à l’écart de son village, en pleine forêt. Végétarienne, passionnée d’astrologie et opposée à la chasse, elle entre parfois en conflit avec les habitants du village, qui sont souvent des chasseurs aguerris. Un jour, on trouve le cadavre d’un braconnier. Nulle trace d’être humain à proximité, seulement des pistes d’animaux. Ceux-ci commencent-ils à se venger de leurs bourreaux? Duszejko décide d’enquêter.
À l’image de son personnage central, Spoor respire la liberté et l’anticonformisme. Fort d’une direction photo somptueuse qui tire merveilleusement profit des splendides décors de la Pologne rurale, le film n’hésite pas à recourir à des effets de réalisation d’un autre âge (zoom, filtres de couleur, variations brusques d’échelle de plans) tout en réservant aussi quelques flashbacks oniriques particulièrement sentis, Duszejko semblant douée du pouvoir de deviner des éléments du passé des gens qu’elle rencontre. L’intrigue est menée de façon tout aussi libre, progressant avec lenteur et multipliant à loisir les sous-intrigues. Spoor aime à se jouer des attentes, récupérant des codes narratifs du cinéma policier et du cinéma d’horreur sans jamais sauter de plain-pied dans un genre ou un autre. En cela, il rappelle un peu le classique The Wicker Man, quoique sur un mode beaucoup plus léger. Cette impression de libre patchwork est encore accentuée par le contexte actuel, tant celui de la Pologne, pays déchiré entre un durcissement des lois pour protéger son identité face au mondialisme ambiant et le désir de continuer dans la voie de la libéralité, que celui de la planète, en proie à une inquiétante extinction des espèces. À la fois païenne, catholique et moderne, le personnage de Duszejko cristallise fort bien toutes ces contradictions.
En dépit de son message écologique sans doute un peu trop appuyé, Spoor demeure une fort belle trouvaille, capable d’enchaîner les ruptures de tons sans jamais égarer le spectateur, et rempli de personnages attachants en dépit d’un propos parfois déroutant. À coup sûr l’un des bons coups de la présente édition de Fantasia.