Sous le soleil de plomb d’un petit hameau corse, une série d’individus louches attendent leur heure: un convoi chargé de lingots d’or doit passer à proximité. L’attaque du convoi se déroule sans anicroche, et la magot est rapatrié jusqu’à la cache en attendant le partage. Mais c’est alors que les choses déraillent, lorsque le hameau reçoit toute une série de visiteurs impromptus, d’abord deux femmes et un enfant, puis deux agents de police.
Retournements d’alliances et fusillades en série, le tout dans une atmosphère de chaleur moite mâtinée de delirium tremens, voici le programme que nous offrent Hélène Cattet et Bruno Forzani, couple de réalisateurs franco-belges œuvrant dans le cinéma bis, et dont les long-métrages précédents (Amer en 2010, L’Étrange Couleur des larmes de ton corps en 2013) avaient remporté un certain succès d’estime. Empruntant beaucoup au genre western-spaghetti (mais aussi au giallo par moment), Cattet et Forzani semblent avoir fort bien assimilé les leçons du maître du genre, Sergio Leone: de l’oncle Sergio, ils ont gardé l’amour immodéré du gros plan, mettant en valeur une splendide galerie de mines patibulaires, l’onirisme grandiloquent de certaines séquences, et un montage alternant explosions de violence et longs temps morts. Parler ici de maniérisme ne rendrait pas justice à Laissez bronzer les cadavres: c’est carrément d’orgie audio-visuelle dont il faut parler, tellement les scènes les plus banales sont découpées, ciselées, travaillées. La caméra virevolte dans le feu, le sang et l’or en fusion, abreuvant la rétine du spectateur d’une série sans fin de trouvailles visuelles, tandis qu’une bande sonore rappelant les grandes heures d’Ennio Morricone fait vibrer son tympan.
Paradoxalement, on pourrait dire que cette surenchère stylistique est à la fois la principale qualité et le principal défaut du film: qualité parce qu’elle lui procure un look unique, défaut parce qu’en misant tout sur la forme, Laissez bronzer les cadavres néglige le fond. Or un grand film a besoin des deux, même si l’indéniable créativité de la mise en scène parvient à ménager des moments de cinéma particulièrement forts, notamment d’inoubliables séquences hallucinées où une femme nue s’enduit d’or, ou encore une scène de gunfight montrée successivement de plusieurs points de vue. Hélas, cette belle mécanique tourne parfois à vide.
Le fait qu’il faille un discours et des personnages attrayants pour soutenir l’artifice cinématographique, c’est la seule leçon de Leone qui n’a pas été retenue. Mais pour le reste, c’est là un véritable travail d’orfèvres.