En général, les grands acteurs trouvent leur rôle le plus emblématique au début de leur carrière. Il est beaucoup plus rare que la chose se produise au crépuscule de la vie d’un interprète. C’est pourtant ce qui semble être arrivé à Harry Dean Stanton, décédé le mois dernier à l’âge de 91 ans, alors que son tout dernier film, Lucky, n’en est encore qu’au début de son exploitation. Un film où il interprète le rôle-titre et livre une prestation particulièrement sentie.
Lucky est un vieil homme qui habite une toute petite ville du sud des États-Unis. Vétéran de la Seconde guerre mondiale (comme son interprète, par ailleurs), il vit seul mais se garde actif en accomplissant sa routine quotidienne: exercices matinaux, mots croisés à son resto favori, mojito dans un bar rempli chaque jour des mêmes habitués, longues marches ici et là. Un jour il est pris d’un malaise et fait une chute, un évènement qui le plonge dans l’angoisse: Lucky doit apprendre à vivre avec le fait qu’il est désormais vieux.
Premier film réalisé par le comédien John Carroll Lynch (aperçu dans Zodiac et dans Gran Torino, notamment), Lucky n’est pas tant là pour raconter une intrigue que pour dresser le portrait chaleureux d’un vieillard excentrique qui se questionne sur le sens des choses de la vie. Sa qualité première réside dans le fait qu’il est complètement exempt de la lourdeur qu’un tel sujet devrait charrier. Le fait qu’absolument tous les personnages soient profondément humains et attachants y est sans doute pour beaucoup. Au fond, qu’est-ce qui rend le vieux Lucky « chanceux », si ce n’est qu’il a la chance de faire partie d’une communauté qui le connaît, qui l’aime (à défaut de toujours le comprendre), qui s’inquiète pour lui? Il y a quelque chose de profondément américain dans cette idée de microcosme « tissé serré », où l’individu trouve sa place naturelle, quelque chose qui a à voir avec les films de John Ford, par exemple. Certes, ce n’est pas comme ça que la vie est, notre monde occidental étant rongé par le double cancer de l’indifférence et de l’individualisme. N’empêche qu’en dépit de cela, Lucky nous émeut et nous fait rire.
Il est assez rare de tomber sur un feel-good movie qui ne sombre pas dans la mièvrerie et la facilité. En voici toujours un. Donc longue vie à Lucky, et bon repos à Harry Dean Stanton.