Lançons les fleurs tout de suite. Mass Effect: Andromeda offre aux fans de la franchise un évident retour aux sources en ramenant dans l’équation ce qui avait fait le succès du premier opus en 2007. Le joueur incarnera Scott ou Sarah Ryder, l’un des jumeaux, alors que l’arche Hyperion des humains arrive dans la galaxie d’Andromède après un voyage de plus de 600 ans. Le projet Andromeda Initiative, incluant 3 autres arches dont celles des Turians, des Asaris et des Salarians, quitte la Voie lactée entre l’épisode Mass Effect 2 et 3, après que Shepard ait vaincu les Collectors et avant l’invasion des Reapers. Leur arrivée ne se fait pas sans heurts et les Ryder découvrent très rapidement les traces d’une ancienne civilisation visiblement très avancée. Évidemment, l’exploration est une partie importante d’Andromeda et les relations créées avec les différents membres de l’équipe sont toujours au coeur de l’expérience vidéoludique. Les missions de loyauté de ME2 reviennent, bien que leur impact dans le récit ne soit pas clair, sinon inexistante. La mécanique de tire et couverture (cover-shooting) fonctionne relativement bien, et on reprend vite le goût d’utiliser ses bons vieux réflexes de biotic! La musique de John Paesano (The Maze Runner, la série Daredevil) est suffisamment épique et rappelle parcimonieusement les synthétiseurs qui caractérisaient le premier ME. L’histoire est standard, mais heureusement on finit par s’intéresser à Ryder, assez pour le suivre, lui et son équipe. Les fans de Mass Effect aimeront presque sans réserves, et s’y replongeront en cachette et à plusieurs reprises. Voilà pour les fleurs. En 2007, ME proposait une expérience narrative immersive hors du commun, avec un univers riche, des enjeux graves et mystérieux et un personnage, le commandant Shepard, suffisamment habitable pour s’identifier à sa quête. Malheureusement, le Ryder de ME:A possède déjà un passé bien défini, ainsi qu’une histoire de famille imposée par le récit, avec un père, une soeur, une mère mourante, qui laisse peu de place au joueur pour habiter ce nouveau personnage.
Maintenant, parlons de l’éléphant dans la pièce… Un film, très bien écrit certes, mais aussi bien monté, bien éclairé, avec une mise en scène soignée, est le minimum exigé d’une expérience cinématographique digne de ce nom. Aucun producteur n’accepterait de laisser filer au montage plusieurs plans hors foyer non justifiés, la disparition ou l’apparition subite d’un personnage d’un plan à l’autre, ou un mauvais effet de compositing lors duquel un personnage traverserait candidement un arbre ajouté en post-production, sous prétexte que l’histoire est plus importante que ces peccadilles! Et pourtant, ces « peccadilles » techniques nourrissent les sujets de conversation entre hardcore gamer, des discussions qui tournent la plupart du temps autour de la virtuosité technique de l’oeuvre, la qualité graphique et sa mécanique de jeu, le gameplay, le taux de rafraichissement, etc. Les producteurs de jeux vidéo le savent très bien, mais cela ne semble pas avoir dérangé EA pour autant. La rumeur voulant même que la sortie du jeu Mass Effect: Andromeda ait été précipitée pour qu’il soit inclus dans l’année fiscale en cours du distributeur. EA est très certainement à blâmer ici. Or, Bioware, bon joueur, vient d’émettre un annonce sur leur compte Twitter accusant réception des critiques sévères à l’endroit des problèmes techniques qui parsèment le jeu, et rassure les fans que ces problèmes seront adressés et résolus (surement partiellement) lors du premier patch téléchargeable le 4 avril prochain. Cela ne réglera pas la qualité générale des animations (dead eyes, les visages neutres, etc.), mais réglera assurément les problèmes des voix mal synchronisées et certaines animations plutôt rigolotes. Dans ce sens, le choix de proposer un monde aussi vaste (un jeu qui dure 100 heures) comporte un autre lot de problèmes liés à la capacité physique des supports, et surtout de la rapidité des processeurs dans les consoles. Par exemple, le draw distance qui gère l’apparition des objets dans un paysage durant notre progression est extrêmement restreint avec la PS4, nous donnant à voir certains arbustes pousser du sol à vue d’oeil. Cet effet est courant dans les open world, mais à ce point (cela dit, ce ne serait pas un problème sur la version PC)? On se serait donc bien volontiers contenté d’un jeu de 50 heures avec des animations et des cinématiques peaufinées! La réalité du marché actuel et les nouveaux standards de qualité graphique sont pourtant bien connus de Bioware. Comme les Anglais le disent si bien: « They bite off more than they can chew ». Peut-être?
Ceci étant dit, en mettant de côté les désagréments esthético-formels qui pourraient freiner notre immersion dans le jeu, ME:A comporte également plusieurs problèmes structurels, que ce soit au niveau de la gestion de l’inventaire et la création d’accessoires – bien que faisant partie du plaisir des RPG, ici ME:A rend ce processus plutôt ardu! – qu’au niveau de la narration qui manque cruellement de fluidité et de rythme. Ce problème de rythme vient principalement du fait que ce nouvel opus propose une expérience beaucoup plus ouverte que ses prédécesseurs. L’univers est beaucoup plus grand et propose beaucoup plus de sidequests, dans un format de type open world comme on ne l’avait jamais vu dans la franchise jusqu’à ce jour. Or, l’histoire intègre maladroitement cette réalité exploratoire dans le récit (un peu comme l’avait fait ME3, pendant que les Reapers envahissent la Terre, une petite bière à la Citadelle ne fait pas de tort!). Certes, les « joueurs explorateurs » seront ravis. Conduire le Nomad sur la surface des planètes (4-5 seulement!), comme avec le Mako dans ME, leur procurera une satisfaction et un sentiment de liberté exaltant. À tel point qu’après 2-3 heures de navigation à chercher des ressources et régler des problèmes soumis par des colonistes sur notre chemin, on se dit: « Oh hey! J’ai une mission prioritaire qui m’attend! J’ai une galaxie à sauver! » Le poids et la gravité de la trame principale s’en trouvent forcément affaiblis.
Si l’on compare encore avec la première trilogie, les transitions entre les séquences de jeu et d’histoire, les cinématiques et les conversations, auraient pu être beaucoup plus organiques et fluides. Par exemple, plusieurs scènes se trouvent scindées par un noir, entre un dialogue et le moment jouable, et brisent considérablement le rythme. Les déplacements entre les planètes prennent également un temps fou, et on se lasse rapidement de revoir toujours les mêmes cinématiques qui servent clairement de temps de téléchargement, pour finalement ne rien trouver sur lesdites planètes! Ce qui ne fait pas changement de ces fameuses séquences d’ascenseur dans ME, mais qui étaient au moins l’occasion de dialogues charmants et drôles entre les personnages. Ce qui n’aide pas à exacerber ce sentiment de passivité vient probablement aussi du fait que la navigation sur la carte nous place dans une position d’observateur, à regarder les cinématiques de déplacement. Alors que les précédents opus nous obligeaient à « piloter » le Normandy sur la carte, d’un point à l’autre. Mine de rien, ces moments avaient l’avantage de nous occuper les doigts! Aussi, il m’a fallu plusieurs heures pour me rendre compte que les mêmes choix de dialogues revenaient dans la fameuse roulette, bien que présentés en demi-teinte après leur sélection, mais qui peuvent néanmoins être sélectionnés à nouveau plus tard dans l’histoire déclenchant une ligne de dialogue différente selon notre progression.
Finalement, le tout manque de cohésion, la conclusion arrive, excitante soit, et malgré toutes ces heures passées à réactiver d’anciennes voutes (à l’aide de puzzles Sudoku remplis de glyphes qui freinent l’avancée de l’histoire!) laissées par une civilisation perdue (encore), un sentiment étrange nous envahit : « Et? C’est juste ça? Pas de révélation, rien? Le méchant est mort, c’est fini? ». Aussi, le système de moralité paragon et renegade de la première trilogie est abandonné pour un système plus subtil, qui donne toutefois l’étrange impression que nos choix n’ont aucun impact. Ce système permettait pourtant de débloquer certains dialogues autrement inaccessibles selon le niveau de moralité de notre personnage, et donnait conséquemment une valeur de rejouabilité à l’expérience et l’envie d’essayer toutes les options possibles.
Certes, la science-fiction comporte ses codes, on suspend avec plaisir notre incrédulité, mais le diable est aussi dans les détails. Lorsqu’on incarne Shepard dans ME, la Voie lactée est déjà peuplée de créatures extraterrestres qui ont probablement eu le temps d’apprendre l’anglais avant que notre histoire commence, peut-être… Or, si la Voie lactée était habitée d’une multitude de races, il n’en est pas de même pour Andromeda, où l’on retrouve seulement que les antagonistes, les Ketts qui viennent d’une autre galaxie, et les Angaras, avec qui Ryder parvient à discuter très rapidement en anglais… Un détail direz-vous… Malheureusement, découvrir d’autres races dans cette nouvelle galaxie me semble une opportunité littéralement manquée, car la force de la première trilogie venait en grande partie de ces relations que l’on créait et entretenait avec les différentes races, avec différents individus dotés de différentes personnalités, et que l’on avait plaisir à découvrir et connaitre. Malheureusement, avec tous les problèmes techniques apparents qui freinent notre immersion narrative de manière souvent très abrupte, il est bien difficile de suspendre notre incrédulité dans ME:A. Est-ce qu’on pourrait s’attendre à une ressortie d’ici la fin de l’année, avec tous les DLC, d’une édition définitive avec des animations améliorées? Ce serait souhaitable! Et pourquoi pas le premier DLC gratuit?
Est-ce qu’au moins les options de romance (de mêmes sexes ou de sexes opposés) en valent la peine? Allez vous jeter votre dévolu sur Cora, Peebee, Gil, Suvi, Liam, Vetra? Apparemment (car ma première partie fut avec Peebee), la scène torride avec Cora frappe par son manque de pudeur… ! Certains fans (beaucoup!) se demanderont donc si après toutes ces heures ils pourront espérer soulager leur pression en retirant de ce voyeurisme calculé une certaine gratification scopique et lubrique. Je dirai simplement ceci, la grâce et le charme discret de Liara risque de vous manquer.