Les dernières décennies de l’histoire du cinéma auront été marquées par la multiplication des remakes, une tendance qui se trouve particulièrement marquée dans le cinéma d’horreur, où suites, prequels, spin-off et bien sûr remakes à proprement parler se succèdent avec la régularité d’un métronome. Face à ce fait, plusieurs attitudes peuvent être adoptées: celle du puriste, qui ne jure que par les œuvres originales, et vilipende le remake comme une vulgaire entreprise commerciale (ce qu’elle est souvent, il est vrai); celle du mélancolique blasé, qui soupire sur la « mort du cinéma », dont les créateurs auraient perdu toute inspiration; celle du cinéphage, qui sera prêt à se ruiner dans les salles obscures pour être assuré d’avoir vu la plus récente suite de telle ou telle saga avant tout le monde, etc. L’authentique cinéphile pourra se demander si ces réactions ne sont pas un brin caricaturales. Car sans inciter les studios de films et les distributeurs à sombrer encore davantage dans la paresse, il demeure un fait que l’humanité se raconte les mêmes histoires depuis l’Antiquité, et qu’il serait vain d’exiger que le septième art se comporte autrement. L’obsession de l’originalité peut parfois mener à un cul-de-sac. Il y a certes eu des catastrophes (on se rappelle du Planet of the Apes version Tim Burton, voire pire, de la série The Hobbit par Peter Jackson comme prequel de Lord of the Rings), mais en contrepartie il est arrivé qu’une histoire doive être racontée des dizaines de fois avant d’être traitée à sa juste valeur: le meilleur exemple que l’on puisse donner étant peut-être le Dracula de Coppola, énième adaptation du classique littéraire de Bram Stoker, mais incontestablement la meilleure, à tous les niveaux.
Y a-t-il des films à ne pas toucher, ou la liberté de l’artiste à parler de ce qu’il veut ne doit-elle souffrir aucune entrave, la question demeure ouverte. Ce long préambule nous amène à parler du nouveau Suspiria, par Luca Guadagnino, présenté lors de la dernière Mostra de Venise et maintenant en salles. Du classique original de Dario Argento (l’un des films d’horreur les plus fascinants de tous les temps), la nouvelle version ne conserve pas grand-chose, hormis les noms des personnages et une partie du synopsis. Sur le plan strictement cinématographique, les deux œuvres sont à l’opposé: sauvagerie psychédélique chez Argento contre lenteur contemplative chez Guadagnino, éclatement formel décomplexé contre classicisme teinté de quelques audaces calculées, fin résolue contre fin ouverte. Tandis qu’Argento situait son intrigue à Fribourg-en-Brisgau pour au final bâtir un univers plus proche du conte que de la réalité, Guadagnino assume pleinement le contexte socio-historique de l’Allemagne des années soixante-dix. En bref, le nouveau Suspiria ressemble à ce qu’aurait été l’ancien si Antonioni avait remplacé Argento à la réalisation.
On peut conclure en affirmant que le nouveau Suspiria est un remake réussi. Non pas parce qu’il chercherait à imiter l’original (ce qui aurait été rien de moins que suicidaire), mais au contraire parce qu’il s’en approprie certains éléments, entrant en une sorte de dialogues à distance avec lui, tout en se faisant le reflet du style et des préoccupations de son propre auteur. C’est maintenant à chacun de décider laquelle des deux versions il préfère, en fonction de ses obsessions personnelles.