Félix Brassard. Comme beaucoup d’autres, je vous ai découvert à l’époque du festival Spasm, avec vos court-métrages indépendants comme Le Bagman ou Mauvaise Dose, des films qui étaient tournés avec très peu de moyens. Est-ce que le fait d’avoir désormais des budgets beaucoup plus importants a changé la façon dont vous planifiez la mise en scène de vos films?
Yoann-Karl Whissell. Le fait d’avoir fait beaucoup de court-métrages à petits budgets a été bénéfique pour nous. Ça nous a appris à être créatifs, à nous revirer sur un dix cennes.
François Simard. Évidemment ça change les choses. La pression n’est pas la même. Par exemple, dans le cas d’un court, s’il pleut en fin de semaine, on n’a qu’à reporter à la fin de semaine suivante. Là on a un horaire avec un nombre de jours fixe, et si on dépasse, il n’y a pas de film. En bout de ligne, the show must go on. Il faut avoir une bonne scène, quoi qu’il arrive. Et on a la chance d’avoir trois cerveaux au lieu d’un!
Anouk Whissell. Il faut aussi dire que Turbo Kid et Summer of ’84 étaient tout de même des films à petits budgets, pour des long-métrages. Les scripts étaient ambitieux pour l’argent disponible. Donc évidemment, oui, il fallait être créatifs.
FB. Ça vous a tout de suite appris à faire plus avec moins?
AW. Oui, c’est ça.
FS. Comme on est trois réalisateurs, on travaille avec des story-boards, ça facilite le tout pour expliquer à l’équipe ce qu’on veut. On a étudié en animation, donc en cas de problème on peut en refaire un en cinq minutes.
FB. J’imagine aussi que le fait d’avoir souvent travaillé ensemble vous aide à avoir une meilleure communication. Réaliser à trois têtes ne doit pas être facile.
FS. Ça dépend pour qui, je dirais. Tout le monde ne pourrait pas faire ça, mais étant donné qu’on a commencé à faire des films entre amis début 2000, pour nous ça va de soi. Parfois on va se séparer le travail sur un plateau. Par exemple, quand un acteur a une question, comme Yoann a la plus grande gueule de nous trois… (Rires)
YKW. D’habitude c’est le cas. Aujourd’hui j’essaie d’être mystérieux. (Rires)
FB. Dans le dossier de presse, la question de la nostalgie revenait souvent, comment vous avez pris du plaisir à refaire des films comme vous en voyiez quand vous étiez jeunes. En ce moment on constate un fort renouveau dans le cinéma d’horreur : It Follows, The Witch, Get Out… Des films qui ne ressemblent à rien de ce qu’on a vu avant. En tant que cinéphiles « nostalgiques », quel regard portez-vous sur le cinéma d’horreur actuel?
YKW. Tout horreur est bon!
AW. Moi ça me plait. Ce sont souvent des films indépendants, avec beaucoup de créativité, d’inventivité dans les concepts.
YKW. L’horreur a toujours trouvé des nouvelles façons de « pousser l’enveloppe », de se réinventer, de se modifier. C’est triste de voir que certaines personnes ne les voient que comme films d’horreur, alors qu’ils peuvent être beaucoup plus que ça : ils peuvent explorer la société, les relations humaines, tout quoi. Donc c’est normal que l’horreur soit en évolution, parce que la société l’est tout le temps.
FS. À mon avis, Summer of ’84, même s’il peut être vu comme un film nostalgique, présente quand même une intrigue qui se démarque, surtout avec la finale. Sans donner de spoilers, je ne pense pas qu’un gros studio aurait pu faire ça.
FB. Mais avez-vous l’impression d’un changement dans la façon dont on perçoit le cinéma d’horreur? Comme si subitement on reconnaissait que ces films-là pouvaient avoir une qualité, comme si subitement des cinéastes comme Carpenter, Romero ou d’autres commençaient à être considérés comme des auteurs?
FS. C’est exactement pourquoi je déteste l’expression Elevated Horror. Ça sous-entend que les autres films d’avant n’étaient pas bons.
AW. C’est surtout une expression de marketing, pour se faire du capital. (Rires)
YKW. C’est comme pour la bande-dessinée. À un moment donné, ils ont inventé l’expression Graphic Novels, mais ça demeure de la bande dessinée. Et l’horreur, c’est de l’horreur, il n’y a pas d’Elevated Horror. Ça prouve que même si l’horreur va bien, le mot reste tabou, et c’est triste. Night of the Living Dead de Romero, par exemple, explorait plusieurs thèmes de société : ça parlait du racisme, ça parlait de pleins de choses. Ce n’est pas nouveau, l’horreur a toujours fait ça, mais certaines personnes l’ont toujours considéré comme un cinéma « moindre », si je peux dire.
FS. C’est pour donner un côté fancy, mais en bout de ligne, c’est parce que le cinéma d’horreur ne coûte pas cher et rapporte beaucoup d’argent.
FB. Dans Summer of ’84, on peut voir une nouvelle facette de votre talent, qu’on ne connaissait pas avant : vous êtes de très bons directeurs d’acteurs. Dans Turbo Kid, vous aviez travaillé avec des acteurs établis, comme Michael Ironside ou Laurence Leboeuf. Ici vous avez travaillé avec de jeunes acteurs. Comment ça s’est passé?
YKW. Ça s’est très bien passé! On dit aux réalisateurs de ne jamais travailler avec des enfants ou des animaux, mais on avait une belle connexion.
FS. On est des kids nous-mêmes! (Rires)
YKW. On est des éternels adolescents, donc c’était facile de travailler avec eux. Ils étaient très professionnels, parfois entre les prises il y avait un peu de cabotinage mais c’était facile de les ramener, de les faire travailler fort.
FS. Comme je disais tout à l’heure, le fait d’être trois réalisateurs nous a aidé, parce que Yoann pouvait être avec eux à 100%. Déjà il avait brisé la glace avec Michael Ironside, qui était assez impressionnant. Pour nous ça allait de soi.
AW. On aime à dire qu’on se prépare d’avance, pour avoir la même réponse à toutes les questions, mais c’est important qu’il n’y ait pas de malentendus avec les acteurs, donc Yoann s’est dédié à eux.
FS. Le processus de casting a été très long, un bon deux mois pour être sûr de trouver le kid parfait. Graham (Verchere), qui joue le rôle de Davey, c’est lui qui porte le film sur ses épaules. C’était un petit budget, avec des délais réduits, 22 jours de tournage intense. Il faut que les kids soient bons. Turbo Kid, comme c’était une comédie, comme ça se prenait moins au sérieux, on pouvait s’en tirer, mais pas dans ce film.
FB. On a beaucoup de parlé de cinéma d’horreur, mais il y aussi beaucoup d’humour dans vos films, ce sont des films très drôles. En termes de comédies, avez-vous des influences?
YKW. Il y en a tellement!
FS. La filmographie complète d’Edgar Wright, je suis un fan fini.
YKW. Toutes les comédies des frères Coen. Ils ont un talent d’écriture, même dans leurs films qui ne sont pas vraiment des comédies, ils ont une façon de faire, dans les dialogues, dans le développement des personnages, qui est géniale.
FB. Fargo n’est pas censé être drôle, mais on rit beaucoup.
YKW. Oui, parce qu’ils connaissent les timings, quand ce sera drôle et quand ça ne le sera pas. Ils sont vraiment bons.
FS. Tu ne peux pas être toujours sérieux, toujours dark. Il faut des moments qui désamorcent les scènes de tension. C’est comme des montagnes russes, il y a des hauts et des bas. Faire rire dans certaines scènes, faire peur dans d’autres.
FB. Si on retourne au cinéma « de genre », récemment le film The Shape of Water, de Guillermo del Toro, s’est mérité l’Oscar du meilleur film. Plus près de nous, Robin Aubert et Les Affamés ont triomphé au Gala Québec Cinéma. Est-ce seulement un effet de mode, ou pensez-vous qu’il y a un plus grand respect pour le cinéma de genre?
YKW. Le public a toujours été là pour le cinéma de genre. Selon moi, les personnes qui étaient habituées au cinéma dit « d’auteur » n’ont pas le choix d’embrace le cinéma d’horreur, c’est ce que le public veut, c’est ce qu’il aime, et c’est ce qu’il veut voir.
FS. Partout ailleurs dans le monde, le cinéma de genre marche très bien. C’est nous, au Québec, qui sommes en retard. Le succès de Fantasia montre pourtant que le public est là.
YKW. Les films #1 au Québec sont des films d’horreur, des films de super-héros…
FB. C’est ce que les gens vont voir, mais la production ne suit pas.
FS. Je dirais qu’on est plus optimistes que Robin (Aubert) par rapport au cinéma de genre québécois. Pleins de jeunes réalisateurs sont motivés, il faut juste foncer.
YKW. Si tu regardes des pays comme la France ou l’Espagne, ils font du cinéma d’action, du cinéma d’horreur, du cinéma de science-fiction qui est financé par les institutions gouvernementales. On est en retard, mais on peut se rattraper.
FB. Lors de la projection d’ouverture de Fantasia, la directrice de la Sodec s’était montrée intéressée à soutenir davantage le cinéma de genre québécois. Était-ce sincère selon vous?
YKW. Je le crois.
AW. Pour nous ils sont d’un bon support pour le développement, même s’ils n’ont pas embarqué dans Turbo Kid.
FB. Summer of ’84 est votre premier film tourné à l’extérieur du Québec, à Vancouver pour être plus précis. Est-ce que c’est une idée que vous aviez depuis longtemps, d’aller tourner ailleurs, ou est-ce un hasard?
FS. La compagnie de production était de Vancouver.
AW. On est ouverts à aller filmer n’importe où, mais on s’ennuyait tout de même des équipes de Montréal.
YKW. On a les meilleures équipes au monde!
FS. Il faut savoir qu’à Vancouver, il y a énormément de compétition. Il y a une pénurie de techniciens, donc ils engagent parfois un peu n’importe qui.
AW. Le roulement de personnel était important, parce que les grosses productions recrutaient parfois nos techniciens, et ceux-ci allaient travailler ailleurs.
FB. Il y avait du maraudage sur votre plateau?
AW. Oui. Les techniciens débarquaient et nous disaient : « c’est ma dernière journée ».
YKW. À chaque matin on voyait du nouveau monde. À Montréal, quand quelqu’un est sur un projet, il le fait du début à la fin. Ça a rendu la chose un peu plus difficile. On est prêts à tourner n’importe où, mais si on a le choix, on va tourner à Montréal.
FS. On a énormément appris avec ce projet. C’était la première fois qu’on faisait un film qu’on n’avait pas écrit, avec de l’argent américain. On voyait cela un peu comme une « commande », mais le scénario nous a tellement passionnés, et on considère qu’on a réussi à faire quelque chose de cool, malgré les moyens.
FB. Ma dernière question : quels sont vos projets futurs?
YKW. Plusieurs de nos projets sont en développement. Évidemment, il y a Turbo Kid 2, que beaucoup de monde attend. On nous écrit souvent des emails pour savoir si on va le faire, et la réponse est oui. Mais on veut aussi faire des adaptations de bandes-dessinées, et il y a le projet d’Amos Daragon, qui est un énorme morceau. Dans notre futur, il y aura de l’horreur, de l’action. On a plusieurs projets différents, de divers styles.
FB. Messieurs-dame, merci pour cette entrevue!