Il y a au début de Killing une fort belle scène, quoique très courte: un jeune samouraï et ses deux compagnons y sont témoins d’un duel au sabre dans la forêt. La scène est filmée de telle sorte qu’on ne voit jamais les deux duellistes en même temps, l’un des deux étant toujours dérobé au regard de la caméra à cause d’un arbre. Le réalisateur Shinya Tsukamoto nous fait tout de suite comprendre que la fascination du cinéphile pour les combats et la violence seront grandement mises en question tout au long du film.
Évidemment, dès qu’il est question de samouraïs à l’écran, on pense invariablement aux chefs-d’œuvre passés d’Akira Kurosawa. L’intrigue de Killing est centrée sur deux personnages, un vieux samouraï et un plus jeune, le premier recrutant le second pour aller en guerre servir le Shogun à Edo. Toutefois, leur route croise celle d’une troupe de bandits, ce qui contrecarre leur projet. Le plus vieux des deux protagonistes fait tout de suite penser au personnage de Takashi Shimura des Sept Samouraïs de Kurosawa, mais son caractère ambigu et pervers l’éloignera assez vite de l’icône du « vieux sage » oriental. Si, chez Kurosawa, il y avait déjà un sous-texte pacifique bien présent, ici, ce parti-pris est poussé jusqu’au bout: si la violence de Killing est chargée à bloc d’une sorte d’érotisme malsain, il reste que la mise en scène multiplie les astuces pour frustrer l’œil du spectateur habitué à des combats superbement chorégraphiés: caméra tremblante, brusques variations d’échelle de plans, montage confus, clair-obscur, tout y est fait pour que les scènes de violence apparaissent brouillonnes, incompréhensibles et malaisantes, plaçant le spectateur avide de sang devant une sorte de coït interrompu.
C’est là la force de Killing: faire ressentir la violence dans toute son absurdité, et forcer le spectateur à se remettre en question, un peu à la manière de ce que fait parfois Nicolas Winding Refn. Un film dur mais extrêmement maîtrisé.
https://www.youtube.com/watch?v=Ev53MlEVIIU