FNC 2018 – The Sisters Brothers, de Jacques Audiard

Jacques Audiard est l’un des cinéastes contemporains les plus adulés, ses films ayant remporté une avalanche de prix parmi les plus prestigieux. Il faut bien admettre que plusieurs d’entre eux sont fort beaux: Un ProphèteDe rouille et d’os… On est toutefois peu convaincu par son plus récent opus, qui est également son premier film américain, The Sisters Brothers. Audiard semble avoir égaré son talent quelque part dans l’Atlantique.

 

Évidemment, faire un western en 2018 n’est pas chose facile en partant. Après Ford, après Hawks, après Leone, après Peckinpah, après Eastwood, on pourrait aisément conclure que le tour de la question a été fait, même si, dans l’absolu, un genre ne meurt jamais et peut toujours donné lieu à de nouvelles explorations. The Sisters Brothers dépeint les aventures de deux frères tueurs à gages lancés sur les traces d’un prospecteur ayant découvert une formule révolutionnaire pour détecter l’or, qui se retrouvent en compétition avec un autre chasseur de primes qui recherche le même homme. Ultimement, les quatre finiront par fraterniser, mais, comme c’est souvent le cas chez Audiard, un tragédie les guettera.

 

The Sisters Brothers est en quelque sorte un anti-Leone. Ce qui faisait la force des films du maître italien, c’était le climat d’amertume et de déception qui s’en dégageait. Le héros leonien est un homme qui évolue en-dehors du monde moderne naissant, un monde dont il n’a pas besoin mais dont l’avancée est inéluctable. Socialiste désabusé devenu anarchiste de droite, Leone avait parfaitement compris que ce qui faisait la force du western, c’était de se maintenir perpétuellement à cheval (sans mauvais jeu de mot) entre humanisme et misanthropie: il y a une race d’homme qui disparaît, l’homme de l’Ouest sauvage, l’homme vraiment libre et indépendant, et c’est la société américaine naissante qui en est responsable. C’est ce que nous dit Il était une fois dans l’ouest, et ce que disait déjà en filigrane Le Bon, la brute et le truand, et c’est pour cela que très peu de westerns intéressants ont vu le jour après les années soixante, Leone étant parvenu à en extraire la substantifique moëlle. The Sisters Brothers prend une tangente inverse: film extrêmement verbeux (ce qui, déjà, est anti-leonien), les protagonistes y apparaissent fascinés par la modernité, une modernité qui finira par les détruire, non pas parce qu’elle est mauvaise mais parce qu’ils la maîtrisent mal.

 

Mais au-delà des présupposés idéologiques (auxquels on peut adhérer ou pas), il reste que The Sisters Brothers est un film maladroit parce qu’on peine à savoir si les touches d’humour sont volontaires ou pas (certains échanges entre les deux frères sont étrangement inappropriés pour deux cowboys), et parce qu’il sous-exploite cruellement son casting, pourtant excellent. John C. Reilly et Joaquin Phoenix font le minimum syndical, Jake Gyllenhaal fait un peu mieux mais n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Ces faiblesses n’ont toutefois pas dissuadé le jury de la dernière Mostra de Venise de décerner à Audiard le Lion d’argent du meilleur réalisateur. La suite est donc ouverte quant à savoir s’il s’agit d’un nouveau chapitre de sa carrière ou d’une simple parenthèse malheureuse, mais dans tous les cas on s’ennuie quand même de De rouille et d’os.