Je l’avais manqué au festival, mais le distributeur eut la gentillesse de m’envoyer une copie de visionnement, et heureusement! Sélectionné dans plusieurs festivals internationaux et adapté du roman éponyme de l’auteur feu Yasoshi Sato, qui s’est suicidé en 1990, AND YOUR BIRD CAN SING est une oeuvre singulière d’un réalisateur à surveiller. Sa caméra suit avec pudeur et délicatesse trois jeunes adultes qui errent dans les rues de Hakodate, une ville située dans la péninsule d’Hokkaido. Un triangle amoureux qui met en scène un commis de librairie, dont le nom n’est jamais dévoilé, sa collègue de travail, Sachiko, avec qui il tombe amoureux ainsi que son meilleur ami Shizuo, qui vivent au rythme des soirées sans lendemain. Notre commis de librairie est nonchalant de nature, ou errant d’esprit. On lui reproche son manque de sincérité, de ne pas exprimer sa pensée, rendant sa relation avec Sachiko incertaine, cette dernière lui préférant son ami Shizuo.
Un cinéma de l’errance qui fascine par sa capacité à nous immerger – que dire, nous hypnotiser – par ses choix de cadrage, de montage; par ses choix de mise en scène, sans jamais complètement nous dévoiler ses plans. Dans ce sens, la quête du héros, s’il en est un, est plutôt vague, sinon inexistante! La destination importe peu, car il n’y en a pas; c’est le déplacement des protagonistes qui nous absorbe, l’envie de vivre avec eux et de les suivre, de les connaitre. Un hang-out movie comme on les appelle. Encore faut-il, pour être efficace – c’est-à-dire minimalement donner le goût aux spectateurs d’accompagner ces personnages – que le film suscite ce désir lors du visionnement. Certes, on aime ou on aime pas. Lost in Translation de Sofia Coppola avait su créer ce type de désir, celui de suivre Bob et Charlotte dans leurs errances: soirée nocturne entre amis, visite de bar karaoke, fuite à travers les salons de Pachinko, etc. La photographie, signée par Hidetoshi Shinomiya, enveloppe avec douceur nos trois jeunes errants, de nuit comme de jour, avec des palettes de couleurs distinctives: bleu et tungsten la nuit, naturelle de jour portant vers des couleurs chaudes. La scène de bar où ils dansent sur des airs de rap-jazz-loundge est aussi baignée d’un bleu style nuit américaine très prononcé, hors du monde extérieur et des préoccupations mondaines.
Par ailleurs le cinéma de l’errance, figure esthétique importante du cinéma mondial, possède un corpus plutôt imposant, d’Agnès Varda (Cléo de 5 à 7), à Chantal Akerman (Rendez-vous d’Anna), Wim Wenders (Alice in the Cities), en passant par Jim Jarmush (Stranger Than Paradise). Jouant d’une mise en scène impressionniste, remplie d’hésitations, de faux pas, qui laissent place à l’improvisation, comme Cassavetes (Shadow) et Hooper (Easyrider) du côté Américain et certains autres films de la Nouvelle-Vague française (outre Varda mentionnée plus haut), AND YOUR BIRD CAN SING se taille fièrement une place dans le groupe sélecte de ces films qui n’imposent rien, mais qui invitent le spectateur à la recherche de traces, et ultimement à la découverte de sa propre vérité. Expérience ludique en phase avec les protagonistes, ils ne sont en quête de rien, vivent au présent, leurs vies intérieures se métamorphosant au gré des événements. À cela s’ajoute la mise en phase esthétique et filmique d’une errance de l’image, lorsque ce n’est pas celle des personnages. Un film qu’il faut déguster lentement, sans se précipiter, comme un bon vin, il n’en sera que meilleur à vos yeux! Un film qui se hisse dans mon palmarès des meilleurs films japonais vus au festival cette année.