Il y a de ces films qui tiennent pratiquement du miracle. Quand on les regarde, on se dit qu’il en faut des heureux hasards pour qu’autant de talents se rencontrent autour d’un même projet et accouchent d’un résultat aussi détonnant et unique. Phantom of the Paradise, classique de Brian De Palma sorti en 1974, fait partie de ces films: drôle, satyrique, tragique, mégalomane, rythmé au quart de tour et esthétiquement génial, il trouve sans conteste sa place parmi ce que le New Hollywood aura offert de meilleur.
L’histoire est celle de Winslow Leach, compositeur de génie inconnu, qui se fait voler la cantate sur Faust qu’il a écrite par Swan, un richissime producteur de musique au passé mystérieux. Swan prévoit ouvrir sa nouvelle salle de spectacle, le Paradise, avec un immense show rock basé sur la cantate de Winslow. Ce dernier tente de se venger en ravageant les studios de Death Record, l’entreprise de Swan, mais s’enferme par mégarde dans une presse à disques, et en sort horriblement défiguré. Laissé pour mort, il revient déguisé en fantôme et commence à hanter le Paradise.
Phantom of the Paradise est le huitième long-métrage de Brian De Palma, dont la plupart des films avaient alors échoué à trouver leur public. On y retrouve une bonne part de ce qui fait l’extraordinaire singularité de De Palma: un pessimisme viscéral, avec un scénario où des êtres trop purs sont broyés et corrompus par un univers sans merci, couplé à une mise en scène baroque qui multiplie les plans de caméra audacieux, notamment un long split-screen où Winslow le fantôme dissimule une bombe dans le décor d’un spectacle rock. De Palma, qui a également écrit le scénario, mélange des éléments emprunté au Faust de Goethe et au Fantôme de l’opéra de Leroux tout en les transposant dans le contexte de la scène rock des années 70. Le film bénéficie également d’une superbe direction photo, de costumes qui parodient tout ce que l’époque pouvait avoir de kitsch et de grotesque, d’excellentes chansons composées par Paul Williams (qui, délicieuse ironie, interprète à l’écran le personnage de Swan) et des performances ingénues de William Finley et Jessica Harper.
Rétrospectivement, Phantom of the Paradise nous apparaît bel et bien comme un récit prémonitoire de ce qui attend le cinéma américain à l’époque. Le bras de fer entre Winslow et Swan symbolise la lutte (éternelle?) de l’artiste et du financier, et la finale en forme de cataclysme annonce la mort du New Hollywood et la défaite de ses artisans, qui ont rêvé d’un système où le cinéaste serait maître de son œuvre et n’aurait plus les mains liées par ses créanciers. À la fois culte, inimitable et entièrement décomplexé, Phantom of the Paradise est sans conteste un tour de force d’une rare perfection. Merci au festival Fantasia d’avoir permis au public montréalais d’admirer ce film en version restaurée.